Voici une interview de Jean-Louis Trapet que je viens de réaliser :
1/ Tout d'abord pourriez vous présenter : votre parcours, vigneron depuis combien de millésimes?
Inconsciemment, je savais que j'allais être vigneron... Dès lors le cheminement se fit avec beaucoup de facilité. Les rencontres furent nombreuses et me ramenaient vers ce qui allait devenir ma passion, mon métier.
En 1990, mon père m'a confié cette magnifique et exaltante tâche d'accompagner les vignes du domaine.
2/ Comment s'est passée la transition avec votre père? à quel moment vous a t il totalement laissé la main?
L'art du maître est sans doute de rendre l'élève autonome... Sentait-il que j'étais suffisamment passionné et respectueux des lieux, des traditions et des hommes pour prendre cette responsabilité, il m'a confié rapidement cette tâche et je l'en remercie encore aujourd'hui, j'espère avoir un jour cette capacité avec mes enfants.
3/ Quand avez vous eu l'idée de travailler en biodynamie? Comment avez-vous eu le déclic?
La prise de conscience fut sans doute assez rapide, dès 1993, un de mes amis a eu un souci de santé (un agriculteur pourtant bien protégé dans la cabine de son tracteur!), je me suis alors dit que je ne voulais pas exposer mon équipe et moi même à ces toxiques qui empoisonnent les vignerons tout au long de la saison. Nous sommes en permanence le nez dans le feuillage! En 1996 le domaine était totalement organique et la BD a suivi, je dois dire essentiellement pour des questions de respect du sol vis à vis du cuivre.
4/ Avez vous commencé par une ou plusieurs appellations voire même parcelle ou est ce que vous avez converti le domaine totalement à votre prise de décision?
Nous avons commencé par les Marsannay et les Gevrey, le reste a suivi très vite.
5/ Pouvez vous nous parler des différents crus que possède le domaine?(Pente, sol/sous-sol, exposition, âge des vignes, apogée)(Pour cette question, j’ai repris les caractéristiques inscrit sur la fiche technique établie par le domaine listant les différents crus)
- Le chambertin : le domaine possède trois parcelles pour un total de 1 ha 90 ares, la première fût achetée en 1919 c’est aussi l’age de la plus vieille vigne. La composition du sol est complexe, le bas est marno-calcaire avec de superbes argiles à grande surface interne, la partie haute est beaucoup plus blanche et marneuse, ce qui a pour conséquence de ralentir le cycle végétatif et de conférer à ce vin joyau un équilibre royal et rare.
- Les latricières : 1 parcelle de 75 ares, première acquisition en 1904, la plus vieille vigne date de 1938. Le sol est très pauvre (sûrement à l’origine du nom) lors des griffages d’été le substrat argilo-calcaire laisse apparaître une fine couche de silice provenant des éboulis de la combe Grissard.
- La chapelle : 1 parcelle de 60 ares, acquise aux alentours de 1890, la plus vieille vigne date de 1945. Le terroir est chaud, bien drainé et peu profond, le sol est composé d’argiles fines et de blocs de calcaire à fleur de sol.
- Les premiers crus : 1 parcelle de 40 ares de petite chapelle acquise en 1877, ce 1er cru est bien sûr proche de la chapelle-chambertin, 2 parcelles de Clos-Prieur pour 40 ares lui est proche des Mazis, enfin 3 parcelles de capita (combottes, corbeaux, ergot) pour 60 ares, je n’ai malheureusement pas d’indication géographique
- Le gevrey : 4 parcelles d’ostrea pour 2 ha 50 ares, la plus vieille vigne date de 1913, 8 parcelles de Gevrey pour 3 ha. L’appellation couvre un total de 450 ha, les divers sols peuvent être de marnes de lias sur les coteaux mais aussi de graviers des craies. Les différentes parcelles qui composent le gevrey du domaine sont les suivantes : En dérée qui compose l’ossature du vin est une parcelle située à mi-coteau, elle est bien exposée et bien drainée. champérrier, voisine d’en dérée, donne des vins denses, c’est ici qu’est plantée le plus vieille vigne de village. Clos de combe offre des vins fermes et colorés. La petite jouise offre des raisins d’une grande finesse. Enfin la vigne belle, tire son nom du fait qu’ici la vigne est belle et prospère. L’ostrea est composé des plus vieilles vignes du domaine située sur les parcelle en dérée et champérrier.
- Le marsannay : il est vinifié en rouge et en blanc, 3 parcelles pour 1 ha 50 ares de pinot et 1 parcelle de 50 ares de chardonnay. La 1ere parcelle de pinot fut acquise en 1979, climat des grasses têtes, ensuite achat d’une parcelle de grand poirier dont certains ceps ont plus de 50 ans. Les vins sont issus de l’assemblage des différentes parcelles. Depuis 1993, le domaine possède une parcelle de chardonnay.
- Les bourgognes : 2 parcelles pour 90 ares de blanc, 2 pour 50 de rouge et enfin 3 pour 60 ares de a minima (passetoutgrains). Les parcelles de blancs sont situées sur la commune de Marsannay, elles sont bien drainées et bien exposées, la structure des sols est proche, limoneuse et argilo-calcaire avec en surface des petits cailloux restituant l’énergie accumulée. Les parcelles d’a minima jouxte les terroirs de Gevrey, les vignes ont été replantées en 1965. A noter que certaines années, le domaine vinifie un rosé.
- Enfin le marc de Chambertin 1990 distillé en janvier 1991, élevé en chêne de Tronçais et mis en bouteille en avril 2005.
6/ Utilisez vous la même méthode de vinification, les mêmes soins et traitements à la vigne pour chaque appellation?
Oui chaque lieu exige la mĂŞme attention, le mĂŞme respect.
7/ Avez vous un cru préféré? Si oui pourquoi?
J'ai plusieurs enfants tous différents, l'amour est-il réellement quantifiable? Je ne le pense pas, mais il est vrai que la vigne et le vin procèdent d'un ordre différent presque immuable, nos latricières s'inscrivent bien dans cette cosmogonie!!! nous avons la chance d'accompagner ce très complexe grand cru depuis 1904...
8/ Comment expliquez vous que la plupart des délimitions effectuées par les moines soient sensiblement identiques au AOC actuelles?
La permanence des lieux et des jours. La vigne est vraiment le reflet du lieu et l'homme ne peut que contempler cet ordre... Tout se passe comme si le sol finissait par vous posséder!
9/ On parle beaucoup du réchauffement climatique, hors 2003 ressentez-vous réellement ses effets?
Il y a toujours eu des variations, mais certainement pas aussi brusques, cf.. les travaux de Mr Emmanuel Leroy Ladurie du collège de France, c'est assez édifiant! A notre échelle de vigneron c'est bien évidement marqué, le débourrement, la floraison, la maturité sont de plus en plus précoces, cette précocité s'accompagne de plus en plus souvent d'accidents climatiques graves, comme la grêle, ou des pluies tropicales avant vendanges... Il est urgent d'agir! La BD peut aider les vignerons, ses effets tempèrent en effet, ces variations météo débridées, cette approche apporte beaucoup de sérénité non seulement dans le vignoble, mais aussi chez les vignerons!
10/ On parle aussi beaucoup de la crise financière qui n'a pas épargné le monde du vin, à Bordeaux tout d'abord mais la bourgogne n'a pas été épargné. On sait que les grands noms sont moins touchés mais l'êtes vous tout de même? Baisse à l'export? Comment va la profession?
Nous sommes confiants mais réalistes, l'appellation est un bien commun, ne l'oublions pas et les efforts chez les vignerons en Bourgogne (et en Alsace, mon épouse Andrée est vigneronne du côté de Riquewihr) sont nombreux et palpables. La prise de conscience de l'urgence écologique, bien qu'assez tardive doit aider la société a surmonter cette crise. Consommons différemment! Enfin, le vin doit rester ce lien qui nous unit! mais loin de ces considérations superficielles nous devons penser avant tout, à ceux qui ont vraiment faim!
11/ Comment avez vous réagi lorsque vous avez appris qu'un site internet très connu proposait une offre avec des tarifs inférieurs au prix domaine? Un gros négociant bordelais(Dubecq) propose vos vins en primeurs serait il envisageable que le domaine fasse un jour une offre primeur à ses clients fidèles?
Nous sommes avant tout, vous le savez, paysans, peu rompus aux arcanes du commerce... nous fûmes pour le moins surpris par certaines offres et attitudes. Nous serons sans doute plus attentifs dans le futur, et nous ne pouvons que remercier nos fidèles amateurs de leur confiance, nous les invitons cordialement au domaine.
12/ Que pensez vous de la spéculation autour des grands vins? Avez vous déjà réfléchi à une parade si le domaine devait y être confronté un jour?
Le vin se doit d'être partagé, dégusté et bu... Le fait qu'il devienne un jour une valeur spéculative est hautement dommageable, cette idée (de recherche complètement abstraite du profit pécunier) ne correspond absolument pas à la valeur intrinsèque et première du vin, faite de partage et d'échanges. Le commerce ne devrait rester avant tout qu'une réciprocité de culture, un lien fort entre les hommes, les civilisations... Mais l'argent nous le voyons, a aussi un pouvoir pervers et destructeur! Quoi qu'il en soit nous sommes toujours très heureux et honorés de recevoir nos amateurs dans nos caves, cette proximité nous aide et nous renforce, merci!
13/ Le millésime 2009 s'annonce superbe dans beaucoup de régions, quel est votre sentiment sur l'avenir de ce millésime dont tout le monde dit le plus grand bien?
Ce sera un très beau millésime, bien né, il s'inscrit dans une belle lignée mais il est encore trop tôt pour en parler, venez le déguster!!!
14/ Enfin pourriez vous nous citer quelques confrères (soeurs) dont vous admirez beaucoup le travail?
Ils sont nombreux, j'aurais peur d'en oublier! en fait, les courants de pensée et d'action sont multiples et variés en Bourgogne, mais vont tous, je pense, dans le bons sens. A ce titre, de nombreux jeunes m'impressionnent par leur capacité d'écoute et de respect des gestes vignerons, seuls véritables garants de l'oeuvre collective des terroirs bourguignons.
Je suis confiant, nous passons, nous sommes passeurs!
Un grand merci aux passionnés que vous êtes et à très bientôt à Gevrey-Chambertin ou à Riquewihr...