Suite Ă la demande d'Alex,
un petit texte sur la taille pratiquée au domaine.
Quelques éléments de base tout d'abord : la taille s’effectue en hiver. Une taille tardive est idéale, car elle retarde le débourrement en limitant ainsi les risques liés aux gelées de printemps (un vrai problème depuis quelques années) mais il faut être sur de pouvoir tout tailler à temps (avant débourrement). Si vous voulez comprendre pourquoi la taille tardive retarde le débourrement, en quelques mots : la vigne est acrotone c’est à dire qu’elle pousse par ses bourgeons les plus éloignés. Durant l’hiver, ces bourgeons se développent pour préparer le débourrement Si on laisse des bourgeons éloignés se développer puis qu’on les coupe, les bourgeons qui reste seront à un stade moins avancé et il faudra à la vigne un certain temps pour les développer avant débourrement.
L’excès inverse, étant de tailler dès le lendemain des vendanges, c’est notamment le cas pour certains coopérateurs qui manquent de main d’œuvre (ou en polyculture). Une taille trop précoce (quand les feuilles sont encore présentes) prive la vigne de réserves hivernales bien utiles.
Nous évitons de tailler par grand froid (en dessous de -2/-4 selon l’année) car 1/il fait froid… 2/les bourgeons cassent lorsqu’on les touche.
Nous taillons à partir de l’épiphanie et jusqu’à fin Mars. C’est le compromis qui nous convient. Malheureusement nous ne passons pas à côté des gelées de printemps qui sont un vrai problème depuis quelques années (gros dégâts en 2019 par exemple avec une demi récolte). Nous travaillons contre le gel avec notamment tout un arsenal de plantes, nous pourrons en reparler.
La taille en arcureDans la région, la taille traditionnelle est une taille en arcure. C’est à dire une taille à baguettes (long bois) par opposition à une taille à courson (bois court à deux yeux=bourgeons) dont la ou les baguettes montent depuis le pied jusqu’au deuxième fil puis redescendent jusqu’au fil du bas. L’arcure s’oppose à la baguette à plat, où la baguette reste à l’horizontale.
L’intérêt de la taille en arcure est de perturber les flux de sève dans la baguette et de permettre un développement des bourgeons plus homogène. Elle peut également permettre d’augmenter un peu le nombre de bourgeons à l’hectare, compensant donc une densité de plantation un peu inférieure.
Historiquement les vignes étaient conduite en guyot double c’est à dire un cep avec deux bras et sur chaque bras, un courson et un baguette. Laisser moi expliquer ici pourquoi une baguette ET un courson : Comme nous l’avons dit plus haut les bourgeons les plus éloignés sont ceux qui poussent en priorité. Si nous n’avions qu’une baguette le risque est de devoir reprendre l’année suivante la baguette sur le deuxième ou troisième bourgeon. La vigne gagnant 10cm tous les ans… Le courson assure donc que la baguette de l’année suivante pourra être prise relativement proche du tronc.
Deux baguettes et deux coursons pour le guyot double donc. Cependant, devant des rendements excessif, et dans une démarche qualitative, la taille à deux baguettes à été interdite pour les nouvelles plantations. Poussés par cette injonction, nombre de vignerons ou coupé un bras sur deux… une catastrophe. Couper un bras veut dire supprimer la moitié des flux de sève, la moitié du pied meurt la moitié restante est hémiplégique. Le raisonnement était erroné car ce n’est pas le nombre de bourgeon qui fait le rendement. Il aurait été beaucoup plus pertinent (mais beaucoup plus complexe) de contrôler les apports azoté qui explosaient.
Aujourd’hui, même si l’on trouve encore des vieilles vignes en double, beaucoup de vignes sont donc conduites en guyot simple avec une baguette et un courson. De notre côté nous avons choisi le guyot double en taille « Guyot-Poussard ». Qu’est-ce à dire ?
La taille Guyot-PoussardPour beaucoup, lors de la taille la priorité est donner à la production, donc à la baguette. Ils choisissent donc le plus beau bois (gros diamètre, long, sans dommages) comme baguette et choisissent ensuite le courson. Nous avons choisi de favoriser le courson, c’est à dire la formation de la plante, les flux de sève et donc la durabilité du pied (ce type de taille limite l’esca et les risques de mort subite du cep par embolie durant des sécheresses ou des coups de chaud).
Le plus important est la position du courson. Idéalement, nous souhaiterions
1/que le premier bourgeon du courson pousse et donne le courson de l’année suivante. Ainsi le courson serait à peu près immuable (puisque le premier bourgeon pousse au niveau de la couronne, donc vraiment à la naissance du courson).
2/Que ce courson soit systématiquement sur la partie extérieure/basse du courson (imaginez que le pied est en Y et les coursons aux extrémités). Ceci permet de concentrer toutes les coupes sur la partie supérieur/intérieur du pied, évitant que les flux de sève ne soit obligés de tourner autour du bois mort crée par les coupes. (Vous voyez ces beaux vieux ceps torturés ? Ce sont les flux de sève qui essaye de tourner autour du bois mort et ce n’est vraiment pas une bonne chose pour la plante.)
Donc la première chose que nous choisissons sur le pied c’est deux coursons bien situés. Si nécessaire, il peut nous arriver de rajeunir un bras en reprenant un courson plus bas le long du bras, voir sur le pied. Durant la saison, nous ebourgeonnons à plusieurs reprise c’est à dire que nous passons éliminer à la main tous les bourgeons qui ont poussé et qui ne nous intéressent pas. Ce n’est ni plus ni moins qu’une taille en vert et c’est à ce stade que nous pouvons décider de garder un bourgeon qui pourra être amené à devenir un courson/ rajeunir/former un nouveau bras. Dans les cas les plus extrêmes, nous pouvons choisir de rajeunir la totalité du pied. Si un bourgeon bien situé part de la base du pied, et que le pied est en mauvais état ou simplement âgé, nous le conservons en après 4-5 ans, lorsque le bourgeon est devenu un petit pied avec 2 bras, nous coupons le vieux pied. Grâce à cette technique vous pourrez voir dans nos vignes des ceps centenaires qui semblent avoir 10ans (car les racines elle sont toujours les mêmes!).
Ensuite, nous regardons ce qu’il reste. Idéalement la baguette est issue du deuxième bourgeon du courson (au dessus). En deuxième choix la baguette peut provenir d’nu autre bourgeon laissé à cette fin lors de l’ébourgeonnage. En dernier choix il peut provenir d’un bois qui a poussé sur la baguette de l’année précédente (peu souhaitable car on éloigne la baguette du pied). On ne place jamais une baguette en dessous d’un courson le long du flux de sève car celui-ci pomperai alors tout le flux et le courson ne se développerai pas. Pour la même raison, la baguette devrait idéalement se situer alternativement sur un bras puis l’autre d’une année sur l’autre afin d’équilibrer es flux de sève (sinon vous avez déjà vu le lanceur de javelot dans les 12 travaux d’Asterix?) .
Dans tous les cas la baguette doit être non endommagée (grêle, insecte, vent...) d’un diamètre (vigueur) et d’une longueur suffisantes pour permettre de la plier en arcure.
Avec tout ces critères, si l’on peut trouver une baguette, tant mieux, sinon tant pis, pas ou peu de raisins cette année sur ce pied. Parfois, deux baguettes (une sur chaque bras) correspondent à tous ces critères !! C’est un indicateur d’une vigueur importante sur le pied qui peut (ô miracle) être régulée en la laissant simplement s’exprimer. Nous laissons alors les deux baguettes, ce qui fatiguera un peu le pied et évitera les excès l’année suivante. Le risque à ne pas laisser cette vigueur s’exprimer par 2 baguettes serait une pousse désordonnée de bourgeon sur le pied amenant à un entassement de végétation et donc une plus grande susceptibilité aux maladies.
Vous avez donc là le secret de la taille « Guyot-Poussard ».
Autour de la TailleSur le même sujet, chez nous le tailleur ne travaille pas seul , avant la taille, nous effectuons une pré-taille. La pré-taille consiste à supprimer le haut de la baguette de l’année précédente (bois que nous n’utiliserons de toute façon pas pour la taille). La pré-taille peut s’effectuer dès la chute totale des feuilles. Les armes du pré-tailleur sont le sécateur et la titine : une brouette dans laquelle les bois sont brûlés.
Après le passage du tailleur (ou de la tailleuse en l’occurrence mais je pourrai mettre tous mes noms au féminin puisque je suis en forte minorité au domaine) nous passons dans les minutes qui suivent un badigeon de taille sur les plaies. Ce badigeon est constitué d’un mélange de prêle, de kaolin et de bouse de vache et limite les risque d’entrée de micro-organismes contaminant dans le pied par les plaies de taille. Puis les bois taillés sont éliminées (par le truchement de la titine encore une fois). Pour finir, les vignes sont pliées et attachées (baguette).
Nous sommes fin-Mars/début Avril, paré pour le débourrement (et le gel screugneugneu).
Bon week-end pascal Ă tous, et je sais pas vous mais moi il y aura du Guillemot-Michel sur la table