Quiconque s'intéresse aux plaisirs de la table a entendu parler de François Chartier. Il est réellement sorti de l'ombre en 1994 en remportant le titre de Meilleur sommelier du monde, cette année-là . Plusieurs ont fait des vins une spécialité, comme le journaliste Michel Phaneuf et plusieurs autres chroniqueurs depuis. Mais aucun sommelier a fait autant que François Chartier au plan de l'harmonie des vins et des mets.
Son guide annuel La Sélection Chartier dure depuis 1997 et ces guides ont été accompagnés de deux autres livres, dont À table avec François Chartier, en 2005, et Papilles et Molécules, à paraître sous peu. On le suit aussi sur Internet (http://www.francoischartier.ca») et à toutes les semaines dans les pages du quotidien La Presse.
Pendant longtemps, l'harmonie des vins et des mets se limitait à quelques grands principes du genre: Blanc sur rouge, rien ne bouge. Rouge sur blanc, tout fout le camp.» Du rouge sur les viandes rouges, du blanc sur les viandes blanches. Bref, vous voyez le genre. Assez préhistorique. Pour les plus sophistiqués, il y avait des nuances entre les rouges plus légers et ceux plus tanniques, qui accompagneraient des viandes plus légères ou plus tanniques.
La plupart des gens en sont demeurés là ... jusqu'à l'arrivée de François Chartier qui a voulu pousser la recherche des goûts et des harmonies un cran plus loin.
Depuis quelques années cependant, le sommelier et communicateur a poussé ses lectures non pas un cran, cette fois, mais un gigantesque bond en avant. C'est le fruit de ses recherches qu'il résume dans Papilles et Molécules et qu'il livrera succinctement, ce midi, lors d'une dégustation-conférence à l'Université d'Ottawa. Cela s'inscrit dans le cadre du congrès scientifique de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS), qui réunit des milliers de chercheurs à Ottawa ces jours-ci. Nous avons discuté de cette expérience gustative et scientifique, il y a quelques jours, pour le bénéfice des gastronomes qui ne peuvent évidemment tous se déplacer pour l'événement (j'aurai le plaisir de présenter François Chartier, ce midi).
Par hasard
«J'essayais de comprendre pourquoi tel aliment va bien avec tel vin, pourquoi et comment existent ces mariages aromatiques» et la découverte serait survenue «un peu par hasard, en fouillant dans la littérature scientifique que les molécules de la menthe sont parentes avec la famille des anisés. J'ai appris que les aliments sont constitués de 150 à 175 molécules différentes, mais qu'il y en a quelques-unes qui sont dominantes. Trois, quatre ou cinq qui viennent participer plus que d'autres à donner de la saveur à ces aliments.
«Des molécules se retrouvent donc dans plusieurs aliments différents, des aliments que l'on a pas nécessairement l'habitude de voir ensemble.» Il parle alors du fenouil, du carvi, du basilic, de l'estragon, des légumes-racines comme le topinambour, la carotte,etc. Du boeuf et des algues nori.
C'est précisément un aperçu de ces mariages aromatiques qu'il présente aujourd'hui. Le menu ne sera pas élaboré, ni sophistiqué. Peut-être aussi simple qu'un sandwich au chèvre, qu'une salade de couscous à la menthe... servi avec un verre de sauvignon blanc. «C'est un mariage extraordinaire», clame Chartier.
Adria et el Bulli
Ces recherches en «sommellerie moléculaire» ont attiré l'intérêt de Ferran Adria, qui est considéré par plusieurs comme le plus grand chef au monde. Une chose est certaine, il dirige les cuisines du restaurant le plus couru au monde, El Bulli, près de Barcelone, en Espagne: 300000 demandes de réservations par année, 8000 réservations acceptées à ce restaurant qui n'est ouvert que six mois par an... les autres six mois étant consacrés à la recherche et à l'exploration de futurs plats. Adria a ouvert le chemin de ce qui a été baptisé la «cuisine moléculaire» où couleurs, substances, températures sont mêlées, revues, réinventées. Depuis ce travail de pionnier amorcé au début des années 1990, plusieurs établissements ont emprunté des routes similaires: à Ottawa, le restaurant Atelier, du chef-propriétaire Marc Lépine, propose une cuisine novatrice de ce genre.
François Chartier a eu le privilège de travailler avec Ferran Adria, et a passé 14 semaines en Espagne au cours des trois dernières années.
«C'est la première fois qu'un sommelier entre dans l'atelier d'El Bulli et qu'il parle d'égal à égal avec cette équipe. Ce que je vois, c'est que Ferran Adria, qui traverse une période de créativité féconde, est allumé par le travail que je lui ai présenté...»
Aujourd'hui, François Chartier ouvrira une petite fenêtre sur l'avenir de l'harmonie des mets et des vins. Et le cadre de l'ACFAS est tout à fait choisi pour ce faire.
Pierre Jury
Le Droit
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