.Débat : Quatre Bourguignons face aux mystères du terroirQui, de l’homme ou du terroir, est le plus important pour produire un grand vin ? Quatre voix de la Bourgogne répondent en puisant dans leur riche expérience. Passionnant !Plus que jamais, la Bourgogne est sous le feu des projecteurs. Ses plus prestigieux terroirs, les célèbres vignerons qui les exploitent fascinent les amateurs du monde entier qui s’arrachent les bouteilles de meursault, vosne-romanée, chambolle-musigny…
La demande pour les grands crus explose, venant saluer les progrès réalisés ces dernières années. Car derrière son aspect immobile, avec ses terroirs classés il y a plus de mille ans, la Bourgogne est en ébullition et doit faire face à de nouveaux défis : explosion de la demande, réchauffement climatique, classement de ses terroirs au patrimoine mondial de l’Unesco et hausse des prix des terres. Autant de thèmes dont nous avons souhaité débattre avec quatre grandes figures bourguignonnes : Aubert de Villaine, copropriétaire et cogérant de l’incontournable domaine de la Romanée-Conti, Dominique Lafon, célèbre vigneron de Meursault et de Mâcon, David Duband, dont le style des vins nous enthousiasme depuis quelques millésimes et qui incarne une jeune garde très dynamique dans la région et Christophe Bouchard, descendant du fondateur de la maison Bouchard Père et fils créée en 1731, qui la dirigeât jusqu’en décembre dernier. Tous les quatre nous livrent, sans concession, leur vision de cette Bourgogne à la fois éternelle et moderne.
LA NOTION DE TERROIR
> Pour débuter ce débat, quelle définition donneriez-vous du terroir ?Dominique Lafon. La manière dont je définirais le terroir, dans sa version bourguignonne en tout cas, est un ensemble d’éléments. Tout d’abord, il s’agit d’un lieu précis et identifié, avec des spécificités de localisation, d’altitude, d’orientation et de climatologie. Mais j’ajouterais que l’humain est aussi partie prenante de manière importante dans cette notion de terroir. Il n’y a pas de terroir sans son interprétation par la main de l’homme.
Aubert de Villaine. Dès le XVIe siècle, on parlait du "naturel de la terre" qui est ce sur quoi nous travaillons et dont nous essayons de tirer le meilleur. Dans l’histoire de la Bourgogne, on a toujours distingué les bons et les mauvais lieux au fil des siècles, c’est ce qui a façonné notre histoire et dessiné la carte des terroirs que nous connaissons aujourd’hui. Le vin exprime d’abord les propriétés chimiques des sols. Et bien avant que n’existent les travaux scientifiques capables d’expliquer pourquoi un lieu est meilleur qu’un autre, c’est simplement avec le goût du vin provenant d’un endroit que nos ancêtres définissaient la notion de bon ou de mauvais terroir. Tout cela a ensuite été validé scientifiquement. Mais ce "naturel de la terre" est inamovible : même si l’homme se montre médiocre, la bonne terre, elle, demeure.
Christophe Bouchard. Olivier de Serres, célèbre agronome des XVIe et XVIIe siècles disait : "Le terroir, c’est l’air, la terre et le complant". Je pense que cette vision est toujours d’actualité. Et je partage cette idée du poids de l’intervention de l’homme, telle que nous l’avons vue au fil des ans en Bourgogne. Son travail sur le terroir, avec les aménagements qu’il a apportés, comme le drainage, la construction de murets ou même des modifications d’orientation, a contribué à améliorer un lieu.
David Duband. Oui, mais le terroir dépasse toujours l’homme, on peut le voir lorsqu’on déguste les vins d’un vigneron : même si son “coup de patte” est perceptible dans le goût du vin, la hiérarchie et la typicité gustative des terroirs sont toujours là . Nul ne peut les effacer. La meilleure démonstration se fait verre à la main, dégustez trois crus voisins de quelques mètres et vinifiés de la même manière, ils ont trois goûts différents.
Aubert de Villaine. Cela se ressent en se promenant dans les vignes. Quand je suis dans le Richebourg, la Romanée Saint-Vivant ou La Tâche, je perçois un lieu différent, je ressens des émotions distinctes. On ne peut pas y cultiver le raisin de manière identique. Les contraintes, le sol, la température et les vents nous obligent à nous adapter.
Christophe Bouchard. Olivier de Serres, célèbre agronome des XVIe et XVIIe siècles disait : « Le terroir, c’est l’air, la terre et le complant ». Je pense que cette vision est toujours d’actualité. Et je partage cette idée du poids de l’intervention de l’homme, telle que nous l’avons vue au fil des ans en Bourgogne. Son travail sur le terroir, avec les aménagements qu’il a apportés, comme le drainage, la construction de murets ou même des modifications d’orientation, a contribué à améliorer un lieu.
David Duband. Oui, mais le terroir dépasse toujours l’homme, on peut le voir lorsqu’on déguste les vins d’un vigneron : même si son “coup de patte” est perceptible dans le goût du vin, la hiérarchie et la typicité gustative des terroirs sont toujours là . Nul ne peut les effacer. La meilleure démonstration se fait verre à la main, dégustez trois crus voisins de quelques mètres et vinifiés de la même manière, ils ont trois goûts différents.
Aubert de Villaine. Cela se ressent en se promenant dans les vignes. Quand je suis dans le Richebourg, la Romanée Saint-Vivant ou La Tâche, je perçois un lieu différent, je ressens des émotions distinctes. On ne peut pas y cultiver le raisin de manière identique. Les contraintes, le sol, la température et les vents nous obligent à nous adapter.
Christophe Bouchard. C’est exact : nous avons fait, il y a quelques années, l’acquisition d’une parcelle de Nuits-Saint-Georges Premier cru Les Cailles, il nous a fallu quatre ans pour la comprendre et arriver à en tirer le meilleur. Le rendement, les pratiques culturales, la date de vendange… tous ces éléments diffèrent d’un lieu à l’autre. Un terroir, cela s’apprend.
LE RÔLE DU VIGNERON
> Quel rôle joue le vigneron et dans quelle mesure sa patte marque-t-elle les vins ?Christophe Bouchard. Le vigneron doit se faire discret derrière son terroir. En Bourgogne, nous n’avons pas d’œnologues vedettes comme à Bordeaux qui sont capables d’apporter leur patte et de vinifier plusieurs dizaines de crus de manière homogène, par le jeu des assemblages et de la technique.
David Duband. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Nous rêvons tous de nous effacer derrière le terroir, mais en réalité, lorsqu’on goûte les vins, surtout jeunes, on s’aperçoit que le “style” du vigneron est bien présent. En revanche, tout cela s’estompe avec le temps. Lorsqu’on déguste de très vieux vins, il devient alors compliqué de faire la différence.
Aubert de Villaine. Bien sûr que le vigneron signe son vin, mais il doit avoir pour objectif d’être le moins visible possible. Cela dit, la manière de cultiver la vigne, le choix des dates de vendanges, la vinification et l’élevage résultent de décisions humaines qui marquent le vin.
Dominique Lafon. Il faut chercher à mettre le lieu en valeur, non soi-même. Le plus dangereux serait d’essayer d’appliquer des recettes et de vouloir faire ce que certains, comme la presse par exemple, préconisent : ne pas filtrer, ne pas utiliser de soufre, moins de bois neuf… Notre travail consiste à avoir une vision claire de la manière dont nous voulons élaborer nos vins, sans se laisser influencer par des modes. Nous ne pouvons pas dire que la nature fait tout et nous rien. C’est bel et bien le vigneron qui est auteur de son vin.
Aubert de Villaine. Un mot doit nous guider : le respect. Respecter son terroir est fondamental.
David Duband. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Au domaine de la Romanée-Conti, vous logez tous les vins en fûts neufs. Est-ce la solution ? Contrairement à vous, certains pensent que le bois neuf détériore le goût du terroir : qui a raison ?
Aubert de Villaine. Sur mes vins, le fût neuf ne marque pratiquement pas. En fin d’élevage, la différence est à peine perceptible, mais cela ne veut pas dire que cela peut s’appliquer partout. Les grands crus dont nous disposons sont suffisamment structurés et denses pour supporter un tel élevage.
> Pour les rouges, on parle beaucoup de vendanges entières, soit le fait de ne pas égrapper les raisins avant la vinification. Cela modifie-t-il le goût ?Aubert de Villaine. Il faut se méfier avec cela et ne pas enfermer les domaines dans des cases. L’égrappage est aussi à géométrie variable. Selon les conditions, les crus et les années, il peut être plus ou moins important. C’est là aussi une question d’adaptation, de faculté à répondre à des besoins.
Dominique Lafon. Et puis, il y a une notion de tradition. La Côte de Beaune a toujours moins égrappé que la Côte de Nuits. Mais je pense que les grands terroirs passent au-dessus de cela. Il existe des grands vins issus de raisins égrappés et d’autres vinifiés en vendanges entières.
> Mais si nous confions quatre parcelles identiques à quatre vignerons, nous aurons quatre vins différents, non ?Dominique Lafon. Oui, mais avec une même ligne directrice. Lorsque je goûte le meursault Perrières de mon voisin Jean-Marc Roulot, qui a une approche différente de la mienne, on retrouve cette tension, ce côté ciselé qui signe le terroir. Le mien a beau être plus enrobé, plus large, il est tout de même le vin le plus tendu et le plus strict de ma cave.
Aubert de Villaine. Et puis, il ne faut pas négliger l’importance du matériel végétal : si le sol demeure crucial, ce qui a été planté dessus est fondamental aussi.
David Duband. L’âge de la vigne est également déterminant. Une jeune vigne dans un grand cru ne peut pas donner un vin immense, même si le terroir est exceptionnel. Sans un enracinement profond et une régulation de la vigne au fil des ans, l’expression du vin reste limitée. On ne peut toutefois pas nier que la Bourgogne a perdu énormément de temps en plantant, dès les années 60, des clones productifs et non qualitatifs. Nous le payons encore aujourd’hui et cela me met en colère. Nos anciens ont une furieuse responsabilité en la matière.
Dominique Lafon. Il faut une vie pour apprendre à exprimer un terroir, entre ce qu’il vous donne et l’idée que vous vous faites du vin que vous voulez produire. Avec le temps, on se rend compte que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut et que c’est en commettant des erreurs que l’on avance. Hélas, en matière de vins, lorsque vous faites une erreur, vous mettez dix ans à vous en rendre compte…
Aubert de Villaine. Savoir, par exemple, que le Montrachet se récolte à extrême maturité et que ce terroir supporte cela sans que les vins deviennent lourds, ce qui n’est pas le cas des terroirs de Meursault. Pourtant le Montrachet n’est pas un terroir tardif, mais la combinaison entre le sol et la climatologie l’impose. Tout cela doit s’apprendre.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
> Mais si le sol n’a que peu changé ces derniers siècles, ce n’est pas le cas du climat. Cela rebat-il les cartes ?Aubert de Villaine. Non, et j’en veux pour preuve le millésime 2003 avec ses conditions extrêmes. L’après-midi, nous voyions les feuilles de nombreuses vignes plier sous l’impact de la chaleur, alors que les plus grands terroirs comme celui de la Romanée-Conti n’ont jamais souffert. Lors des vendanges, les analyses montraient que le niveau d’acidité des vins issus des endroits les plus prestigieux était correct, ce qui n’était pas le cas des autres. L’idée que les petits terroirs profiteraient du réchauffement climatique pour se hisser au niveau des meilleurs est exacte pour certains millésimes. Sinon, c’est l’inverse.
Christophe Bouchard. J’ai d’ailleurs apporté deux vins du millésime 2003 et je vous engage à voir à quel point ils sont aujourd’hui en pleine forme et certainement pas “cuits”, comme certains le redoutaient. Y compris sur les grands terroirs de blanc. Le réchauffement climatique n’est pas un problème en Bourgogne.
Dominique Lafon. Je suis d’accord. Et puis si vous prenez le pinot noir, par exemple, nous disposons d’une réserve génétique de vignes moins précoces que celles qui sont plantées actuellement. Donc, s’il le fallait, nous pourrions planter des vignes mieux adaptées à ces modifications climatiques. Et regardons les choses avec du recul : dans l’histoire de la Bourgogne, nous avons déjà connu des périodes de modification climatiques. Les grands endroits, les meilleurs terroirs ont toujours été supérieurs aux autres, c’est comme cela ! Si de grands terroirs doivent s’imposer à l’avenir, ce n’est pas à cause du réchauffement climatique, mais parce que des hommes les révéleront. Des lieux comme on peut en trouver dans le sud de la Bourgogne et dont jusqu’ici personne ne s’était occupé.
David Duband. Ceux qui pensent que d’ici à quelques années, grâce à la modification du climat, les vins de Hautes Côtes de Nuits seront meilleurs que les grands crus en seront sans doute pour leurs frais. Je travaille des terroirs en Hautes Côtes et en grands crus et croyez-moi, ce n’est pas le gain de quelques degrés au cours de l’année qui pourrait changer la hiérarchie. Cela dit, le réchauffement, s’il se confirme, permettra à des “petits terroirs” qui mûrissent difficilement de produire de meilleurs vins plus régulièrement, c’est positif. Mais un âne ne se transforme jamais en cheval de course, même sous l’effet de la chaleur.
Aubert de Villaine. Avant toute chose, il faut s’entendre sur la notion de réchauffement climatique que, pour ma part, je conteste. Il vaut mieux parler de dérèglement. Il suffit de regarder les températures des étés récents. Ils n’ont pas battu de records de chaleur, loin s’en faut.
Christophe Bouchard. Pour ma part, je vois plutôt des choses positives dans cette évolution climatique. Il suffit de regarder les raisins que nous vendangions il y a encore vingt ans. Nous avions beaucoup de difficultés à atteindre la maturité voulue. Aujourd’hui, le niveau des millésimes est bien supérieur et il est plus facile de s’adapter à un léger excès de chaleur, en ramassant les raisins plus tôt, qu’à un déficit qui nous oblige à vendanger des baies pas mûres. Mais je voudrais aborder une autre donnée dont on parle peu et qui a pourtant des conséquences très importantes : il s’agit de l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère qui modifie la pousse de la vigne. Cette dernière est beaucoup plus vigoureuse qu’auparavant, ce qui nous oblige à rogner plus souvent. Cela doit nous amener à nous poser des questions sur la conduite la vigne ou les densités de plantation.
LE GOÛT DU VIN
> Le goût du vin a-t-il changé en 30 ans ?Aubert de Villaine. Il n’a pas changé de manière profonde. S’il a évolué, ce n’est pas dû aux conditions climatiques, mais à l’amélioration du matériel et des techniques de culture de la vigne.
Christophe Bouchard. C’est vrai. Lorsque nous dégustons de vieux millésimes issus d’années chaudes, nous retrouvons les mêmes caractéristiques gustatives que dans des millésimes plus récents.
David Duband. Ces vieux millésimes issus d’années chaudes sont ceux que nous préférons, car ils sont mûrs. Cela démontre que c’est bel et bien avec des raisins mûrs que l’on élabore les meilleurs vins. Regardez les 1929, 1947 ou 1961…
Aubert de Villaine. Je ne suis pas d’accord. Prenez 1956 ou 1965. Ces deux millésimes, ingrats au départ, sont aujourd’hui délicieux et loin d’être finis. Avec le temps, le terroir est repassé par-dessus et s’exprime.
Dominique Lafon. Nous en revenons à la question du terroir. Quelles que soient les conditions du millésime, les plus grands terroirs donnent des grands vins. Le temps est leur allié et ils sont les seuls à pouvoir évoluer comme cela.
> Le goût du vin est lié au terroir. Pouvez-vous en donner un exemple ?Christophe Bouchard. Prenez un terroir chaud comme Volnay. On perçoit toujours une certaine chaleur dans les vins, avec un côté suave et immédiatement approchable. Un nuits-saint-georges Les Cailles sera plus froid, serré et mettra plus de temps à se livrer. Nous les vinifions avec la même approche et pourtant, chaque année, ils conservent ces caractéristiques gustatives.
Aubert de Villaine. Depuis peu, nous exploitons trois parcelles à Corton. Les vins sont plus terriens que ceux que nous élaborons à Vosne-Romanée. Nous devons respecter ces différences et surtout ne pas les gommer. Au XVIe siècle, on préconisait de goûter la terre avant de planter de la vigne. Elle devait avoir "bon goût".
> L’amateur doit-il acheter un vin de “petit terroir” dans un grand millésime ou un grand terroir dans un petit millésime ?Aubert de Villaine. Je réfute la notion de grand ou petit millésime. Je préfère parler de millésime difficile ou facile. Dans les deux cas, de grands vins peuvent naître. 2013, 2012 et 2010 ont été des années compliquées et pourtant ceux qui travaillent bien ont élaboré des vins superbes parfois aussi bons que ceux issus des années plus faciles.
Dominique Lafon. Les choses ont bien changé dans les domaines, l’arrivée des tables de tri a permis d’améliorer la qualité des vins dans ces années compliquées. Lorsque j’ai démarré, au début des années 80, un vigneron m’a dit : « Petit, pour faire du bon vin, il faut un tiers de beaux raisins pour le goût, un tiers de raisins pourris pour le degré et un tiers de raisins verts pour l’acidité. Mets tout dans la cuve ! ». Si on refaisait aujourd’hui les millésimes des années 70 et 80, les vins seraient bien meilleurs.
David Duband. Je considère qu’avoir recours à une table de tri, c’est déjà un échec. Si on travaille correctement à la vigne, on ne rentre pas de raisins pourris. Ceux qui disent « j’ai trié 50 % de ma vendange » n’ont pas bien travaillé dans les vignes. Pour ma part, je trie au minimum. Pour faire un grand vin, il faut un grand raisin. Tout se passe à la vigne.
L'IMPACT DU NOM
> Quel est le rapport entre la notoriété du vigneron et celle de son terroir auprès de vos clients ? Certains noms ne deviennent-ils pas des marques ?Aubert de Villaine. Je ne dirais pas des marques, mais des signatures qui rassurent les amateurs sans doute.
Christophe Bouchard. Cela dépend du prestige de l’appellation. Si vous avez du chambertin ou du montrachet, vous le vendrez sans problème même si vous n’êtes pas connu. Ici, le terroir passe avant le nom du vigneron. Dans le cas de climats moins réputés ou moins célèbres, comme à Beaune, c’est vrai que le nom est un atout. Depuis plus de cent ans, nous produisons notre cuvée beaune du Château, un vin issu de l’assemblage de 22 parcelles. Il est l’une des signatures de la maison, mais n’est pour autant pas un vin de marque au goût que nous aurions standardisé.
L'ÉVOLUTION
> La Bourgogne peut-elle encore s’étendre et faire évoluer ses terroirs et ses classements ?Dominique Lafon. Pour ce qui est de Nuits et de Beaune, nous avons déjà poussé les murs au maximum. Mais à Chablis, dans le Mâconnais et le Châlonnais, des terroirs de grande qualité n’ont pas encore été découverts parce que personne ne les a encore exploités. Je suis persuadé que c’est là que se trouve le réservoir qui permettra à la Bourgogne de se développer encore. Pour ce qui est de la création de nouveaux premiers ou grands crus, cela pourrait avoir un sens à Pommard par exemple, où un dossier a été monté, mais je crains que cela n’attise des querelles locales insolvables lorsqu’il s’agira de délimiter les parcelles. En ce qui me concerne, je n’ai pas envie qu’à Meursault se déclare la guerre entre tous les vignerons pour simplement classer un morceau de Perrières en grand cru.
Christophe Bouchard. Aujourd’hui, les enjeux financiers sont colossaux, ce qui n’était pas le cas lors la création des appellations en 1935. Je pense aussi que personne ne se risquera à ouvrir ce chantier.
Aubert de Villaine. Et puis, il faut bien réfléchir aux conséquences, notamment le changement de nom que cela entraîne. Si le meursault 1er cru Perrières est promu grand cru, il ne s’appellera plus que Perrières. Est-ce une bonne chose d’un point de vue commercial ?
LE CLASSEMENT À L'UNESCO
> Vous êtes tous impliqués dans le projet de classement des terroirs de Bourgogne au patrimoine mondial de l’Unesco, quel est le sens de ce projet ?Aubert de Villaine. La Bourgogne dispose de quelque chose d’unique et d’exceptionnel : une bande de terre qui parcourt les Côtes de Nuits et de Beaune et rassemble tous les plus grands terroirs. Ce classement permettra de le vérifier scientifiquement et de le faire savoir au monde entier. Mais cela montrera surtout à tous les acteurs de la Bourgogne qu’ils ont entre les mains quelque chose de précieux qu’il faut sauvegarder.
Christophe Bouchard. Après les réticences du début, les professionnels du vin et la population bourguignonne se sont retrouvés autour de ce projet. Cela apporte beaucoup de cohésion à la région.
Dominique Lafon. Cela permettra aussi de démontrer de manière absolue que la notion de terroir en Bourgogne que quelques-uns contestent n’est pas un mythe, mais bel et bien une réalité. Notre spécificité est unique au monde et notre modèle de viticulture de terroir, opposée à celle de marque que l’on voit dans d’autres régions est notre ADN. Nous voulons la défendre et la préserver. En un mot, nous sommes fiers d’être bourguignons !
Aubert de Villaine: Domaine de la Romanée-Conti, 76 ansSigne particulier : copropriétaire du domaine de la Romanée-Conti (DRC) et cogérant depuis 1971, grand défenseur de la Bourgogne, il est président de l’Association des climats de Bourgogne, à l’origine de la demande de classement des terroirs bourguignons au patrimoine mondial de l’Unesco.
Ses vins : pour le DRC : Romanée-Conti, La Tâche, Romanée Saint-Vivant, Richebourg, Montrachet… et pour le domaine A. et P. de Villaine : un vivace aligoté de Bouzeron, témoignage de l’histoire bourguignonne.
Dominique Lafon : Domaine des Comtes Lafon, 56 ansSigne particulier : prenant la succession de son père, il dirige depuis 1984 le domaine des Comtes Lafon à Meursault, dont la réputation mondiale pour les grands vins blancs est indiscutable. La famille est également propriétaire depuis 1999 du domaine des Héritiers du Comte Lafon, à Milly-Lamartine, dans le Mâconnais.
Ses vins : pour le domaine des Comtes Lafon : Meursault 1ers crus (Les Charmes, Genevrières, Perrières), Montrachet et Volnay… ; pour le domaine des Héritiers du Comte Lafon : Mâcon-Bussière, Viré-Clessé…
Christophe Bouchard : Maison Bouchard Père et fils, 65 ansSigne particulier : représentant la neuvième génération de la famille fondatrice du domaine en 1731, il était le dernier dirigeant familial de cette maison beaunoise rachetée par le groupe champenois Henriot en 1995. Il a quitté
ses fonctions de directeur général en janvier mais conserve un rôle de consultant.
Ses vins : la maison Bouchard exploite 130 hectares de vignes sur les terroirs les plus prestigieux de la Bourgogne, dont 12 grands crus. À cela s’ajoute une importante activité de négoce.
Production totale : environ 600 000 bouteilles par an.
David Duband : Domaine David Duband, 43 ansSigne particulier : après avoir repris le petit domaine familial, au début des années 90, David Duband s’est vu confier l’exploitation des vignes acquises par l’homme d’affaires François Feuillet dont les très belles parcelles de l’ancien domaine Truchot. L’évolution de son style au fil des ans, privilégiant la vendange entière et une utilisation très modérée du bois neuf, le place parmi les meilleurs vignerons de sa génération.
Ses vins : Hautes Côtes de Nuits, Nuits-Saint-Georges, Vosne-Romanée, Gevrey-Chambertin, Morey Saint-Denis, Échezeaux, Chambertin, Clos de la Roche… pour les domaines David Duband et François Feuillet.
www.larvf.comAlex,