LoĂŻc Pasquet
« Dans cinq ans, Liber Pater sera plus cher que la Romanée Conti »
Devenue le vin de Bordeaux le plus cher du moment (surclassant Petrus, Le Pin, Lafite, Haut-Brion, Latour…), la cuvée confidentielle d’anciens cépages bordelais plantés francs de pied a l’ambition de détrôner la mythique étiquette bourguignonne. C’est du moins le cap que se fixe Loïc Pasquet, le créateur de Liber Pater en 2006. Le vigneron de Podensac souhaite également inspirer un retour aux vins de terroir, avec des cépages oubliés qui permettent une différenciation et une valorisation des vins.
Dans le dernier classement WineSearcher des cinquante vins les plus chers au monde, Liber Pater arrive en nouveau-venu à la dix-septième place, nettement devant le mythique Petrus, qui pointe à la vingt-huitième position. Comment expliquez-vous cette surprenante performance ?
LoĂŻc Pasquet : Quels sont les domaines qui arrivent en premier de ce classement ?
Il s'agit essentiellement de grands crus bourguignons et de prestigieuses étiquette allemandes : le domaine de la Romanée Conti, le domaine Leroy, Egon Müller…
Dans cinq ans, Liber Pater sera plus cher que la Romanée Conti.
Comment arriverez-vous Ă ces sommets ?
Liber Pater est un vin de lieu et pas de cépage, c’est notre terroir unique, l'anticlinal, qui s’exprime. Liber Pater donne l’occasion d’ouvrir l’histoire du goût. Aujourd’hui, il n’y a plus de vins fins, comme les nommaient les gourmets du XIXème siècle. Le goût des grands vins a disparu après la crise phylloxérique. On en trouve la preuve dans les archives : en 1904, l’intendant du château Margaux estimait que le greffage avait fait perdre son goût à ses vins. C’est expliqué dans le livre le Goût retrouvé des vins de Bordeaux, qui a été écrit sur Liber Pater par Jacky Rigaud et Jean Rosen (qui va être publié par les éditions Actes Sud en 5 septembre prochain).
Liber Pater donne l’occasion d’avoir le vrai goût des vins que l’on avait en 1855. On ne peut pas le mettre sur l’étiquette… Mais on peut le promettre grâce à un ensemble de détails. Tout notre vignoble de 3 hectares est planté en franc de pied, avec une densité de 20 000 pieds hectares, un travail en traction animale et une culture bio. À Bordeaux, ce discours me fait passer pour un hurluberlu, un fou furieux, mais c’est un discours évident en Bourgogne.
Votre positionnement prix est aussi lié à l'extrême rareté de vos bouteilles…
L’idée est de faire très peu de vin. Nous produisons de 0 à quelques milliers de bouteilles par an. Il faut accepter de ne pas pouvoir soumettre tous les ans la nature, selon les aléas climatiques (le gel de 2017) et la qualité (2013 ne méritait pas de sortir).
Votre approche iconoclaste de la viticulture est-elle compatible avec la nomenclature des appellations d’origine contrôlées ?
Avec la récolte d’anciens cépages hors cahier des charges, je vais passer en vin de France cette vendange 2018. C’est aberrant, alors que ce sont des variétés historiques en adéquation avec le terroir bordelais. Grâce à l’IFV, sur le vignoble de Liber Pater nous avons planté du cabernet sauvignon, du camaralet, de la carménère, du castet, du lauzet, du petit verdot, du saint macaire, du sémillon et du tarnais.
Regrettez-vous de quitter l’AOC Graves ?
Pour moi, les AOC sont mortes. Ce système devient de plus en plus industriel, le vin va connaître le même sort que le fromage. Ces vins seront techniquement bien faits, mais variétaux et sans âme. Il faut lutter contre l’uniformisation et préserver le goût : cela fait partie de notre culture. Les porte-greffe ont permis de mettre n’importe quel cépage n’importe où. Alors que ce ne devrait pas être le cépage qui impose le goût, mais le terroir.
Je viens d’avoir un contrôle de l’INAO [NDLR : Institut National de l’Origine et de la Qualité]. Ils pensent que j’ai commis un manquement majeur à l’AOC, avec des hauteurs d’herbes trop importantes au niveau de la zone fructifère de mes vignes. Mais en ayant recours à la méthode ancienne de l’arcure des rameaux, je ne peux pas faire autrement. Pour l’INAO, il faudrait du RoundUp à la place de l’herbe ! Je ne vais pas lâcher dans cette affaire. J’ai déjà gagné en appel mon procès contre l’INAO sur mes densités de plantation et les accusations de chaptalisation.
À Bordeaux, on semble vous voir au mieux comme un gugusse qui a réussi l’impensable, au pire comme filou qui va tomber, notamment avec l’affaire des aides de FranceAgriMer…
C’est comme en politique : parlez de moi en bien ou en mal, mais parlez de moi. Il n’y a rien de plus horrifique que d’être transparent. Concernant les subventions de FranceAgriMer, une enquête est aujourd’hui ouverte par le parquet de Bordeaux sur le témoignage de l’importateur chinois qui m’a dénoncé. Je suis confiant sur l’issue de cette procédure. Mes clients sont des businessmen, ils ont tous des affaires avec l’administration, cela leur est égal. Pour moi, l’important c’est que le prix de la bouteille de Liber Pater continue de monter. Et que le vin soit de plus en plus apprécié. C’est ma réussite.
Et nous ne sommes pas si isolés dans le vignoble bordelais. Je peux vous dire que des grands crus classés visitent Liber Pater pour voir nos francs de pieds… Il y a une perte de diversité à Bordeaux. Je souhaite y sensibiliser les autres vignerons : on a tous à y gagner. Si deux voisins dans les Graves produisent le même merlot, l’acheteur en face choisit le tonneau en fonction de son prix. Alors qu’en Bourgogne le terroir permet de distinguer deux parcelles côte à côte.
Un projet de nouvelle cuvée
En cours de plantation, un nouveau vignoble va émerger pour compléter la production de Loïc Pasquet. Avec 3 ha déjà plantés et 3 ha à planter, l’étiquette Denarius ne sera pas commercialisée avant plusieurs années, mais elle vise déjà un prix de vente de 300 euros. Si Liber est l’antique dieu du vin, Denarius signifie denier en latin.
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Alex,