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Le vin et le bio #4 - « L'idée que la nature est bonne est u

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 8 AoĂ»t 2019 10:41

Matthieu Dubernet, patron du prestigieux laboratoire d'œnologie dans l'Aude, défend une viticulture respectueuse de l'environnement. Mais sans dogmatisme.
Par Olivier Bompas

Lorsque Jean-Henri Dubernet et son fils Marc créent leur laboratoire d'œnologie en Languedoc, à Narbonne, au milieu des années 1970, le métier d'œnologue-conseil n'existe pas. Aujourd'hui, dirigés par Matthieu qui incarne la 3e génération, les laboratoires Dubernet conseillent 300 caves et interviennent de Perpignan jusqu'à Montpellier, dans la vallée de l'Aude, et depuis la reprise des laboratoires interprofessionnels de la vallée du Rhône, dans le Vaucluse, la Drôme et l'Ardèche. Accrédité NF EN ISO/CEI 17025, Dubernet est agréé par le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et souvent sollicité pour la recherche de résidus par des organismes privés comme la presse. C'est aussi un des plus importants d'Europe.

Il compte parmi ses clients près de 30 % de vignerons en bio : « On peut donc se permettre une réflexion sur le sujet sans passer pour de vilains anti-bio. Nous prônons une œnologie environnementale et durable, mais il n'y a pas de tabous », explique Matthieu Dubernet.

Le Point : Depuis quand le laboratoire Dubernet s'intéresse-t-il au bio ?

Matthieu Dubernet : En Languedoc, le bio a commencé dans certains villages des Corbières à la fin des années 1970 : dès le début des années 1980, le village de Ribaute était entièrement en bio. On était déjà de l'aventure, mon père (Marc Dubernet, NDLR) était au côté de Jean Vialade, dont la fille, Claude Vialade, aujourd'hui à la tête du négoce Saint-Auriol, est très investie dans le bio aussi. Jean Vialade était président de la cave, il a alors convaincu tout le village de passer en bio. C'était certainement plus facile dans la région que dans les vignobles plus humides de type océanique par exemple, mais il fallait tout de même oser. Aujourd'hui, on accompagne les plus gros volumes de bio de la région, mais sans revendiquer d'être les spécialistes. Je n'aime pas les chapelles… On intervient de la maturation du raisin jusqu'à la commercialisation, et aujourd'hui, on s'intéresse beaucoup à la vie des sols avec l'agroœnologie.

« Si on s'en tient au cahier des charges, le bio ne va pas loin… »

Il y a une demande très forte de vins bio, mais les consommateurs peinent à s'y retrouver dans les labels et, cavistes mis à part, l'offre semble assez discrète.


l'offre a du mal à répondre à la demande. C'est un paradoxe énorme. Personne n'a envie de produire de façon polluante, les vignerons sont disposés à travailler en bio, donc si on ne fournit pas les volumes, c'est qu'il y a des difficultés qui freinent ce développement. Prenons l'exemple de 2018, le mildiou (champignon parasite qui se développe lors des printemps pluvieux et doux) a créé de vraies difficultés, les incertitudes liées à l'utilisation du cuivre, seul vrai remède pour le combattre autorisé en bio, font réfléchir beaucoup de jeunes vignerons qui seraient prêts à faire le pas…

L'année 2018 a rappelé à peu près partout dans le vignoble qu'avec le mildiou, on se trouve vite dans une impasse. Si l'on pense que le bio est la seule réponse à la demande des consommateurs, alors ça signifie que certains aspects du bio doivent être repensés. S'enfermer dans le seul logiciel du bio tel qu'il existe depuis les années 1970 est une vraie difficulté. L'enjeu environnemental, c'est au moins 4 points-clés : produire de façon propre et saine, de façon durable, avec le moins d'effet carbone possible, et en favorisant la biodiversité. Si l'on considère l'ensemble de ces exigences, en mettant en face le cahier des charges bio, on ne coche qu'une seule case : produire sainement… et encore, ça peut être discutable sur certains aspects. Si on s'en tient au cahier des charges, le bio ne va pas loin… Et on peut retrouver sur le marché du « bio a minima » ce qui relève d'une aberration. Prenons un exemple en dehors du vin : on peut manger en France hors saison des poires bio du Pérou… ça n'a aucun sens, mais c'est du bio, c'est certifié  ! Ça pose des questions générales sur les démarches environnementales, comment les faire évoluer…

En général, ceux qui se lancent dans l'aventure bio adoptent une philosophie de vie, un comportement qui les conduit à cocher d'autres cases, pour reprendre votre expression…

Bien sûr, les vignerons vont plus loin. Quand ils disent qu'ils sont bio, ils ne se contentent pas d'appliquer le cahier des charges, ils offrent des solutions originales, individuelles, le fait d'adhérer au bio induit une dynamique environnementale, c'est sa grande vertu. Mais le bio doit s'inscrire dans une démarche globale. Je me demande parfois si la logique des labels, des marques collectives, des appellations même ne touche pas à sa fin. Toute l'évolution qualitative s'est faite en imposant à tous des solutions globales, mais c'est infaisable à terme : sur les coteaux calcaires des corbières, on ne fera pas les mêmes choses que sur les sables de Listel ou les graves bordelaises. Donc, la marque collective devient une réponse très compliquée qui fige tout.

« On ne peut pas faire autrement qu'utiliser des intrants : la vigne, c'est de l'agriculture, pas de la cueillette  ! »

Donc, il faudrait revoir les labels ?

Le bio avec les labels s'est construit sur une approche négative. On supprime, on interdit, et là, on devient bio… Aujourd'hui, les gens qui font du bio et qui le font bien ont tous créé quelque chose de positif et ne sont pas que dans le négatif et l'interdiction. Les vignerons vivent au milieu de la nature, ils savent ce qu'il faut faire, mais il leur faut des schémas positifs durables. Le bio par l'interdit et par le dénigrement est une impasse. C'est d'abord une philosophie, beaucoup de travail, d'observation. L'enjeu environnemental s'impose à tous et les évolutions climatiques vont imposer une réflexion. L'arme affûtée pour répondre aux enjeux environnementaux, le bio peut l'incarner, mais sans conservatisme ni dogmatisme.

Par exemple ?

Le bio est apparu à la suite des Trente Glorieuses avec le tout chimique. Le postulat de base du bio : se départir de la chimie de synthèse. Cela voudrait dire que seule la nature propose une chimie bonne et saine, ce qui pour tout scientifique qui a travaillé dans la chimie relève d'une aberration fondamentale : il y a plus de poisons dans la nature que ce que l'homme peut créer. On ne peut pas faire autrement qu'utiliser des intrants : la vigne est une culture, c'est de l'agriculture, pas de la cueillette  ! L'essentiel, c'est de les utiliser en fonction de leurs effets sur l'environnement et non en fonction du fait qu'ils soient de synthèse ou pas. En 2018, il a fallu intervenir tous les deux ou trois jours pour sauver une récolte avec du cuivre… ce n'est pas forcément satisfaisant comme solution.

En clair, vous êtes en train de nous dire que certaines molécules de synthèse sont préférables en termes d'environnement à certains traitements naturels autorisés en bio ?

Chez nous, on fait l'analyse des résidus de pesticides depuis plus de 10 ans, ce qui nous permet de voir que certaines molécules utilisées au vignoble ne sont présentes ni dans le vin ni dans les sols. Ces molécules sont dégradées rapidement en composés primaires, elles sont dégradables. Il serait bien d'envisager des stratégies de protection du vignoble avec des molécules de synthèse qui ne laissent pas de traces dans l'environnement. Le bio le fait déjà avec la confusion sexuelle (1). Les bio sont à l'origine de cette technique et en sont très fiers, à juste titre, mais les phéromones que l'on diffuse, ce sont des molécules synthétisées. Ce n'est pas directement pulvérisé sur le feuillage et le raisin, donc on considère que c'est acceptable, mais enfin on crée une barrière contre les ravageurs de la vigne avec des molécules obtenues par chimie de synthèse, et ça marche redoutablement bien : on a moins de vers de la grappe chez les bio que chez les conventionnels, ils ont eu raison. Mais je le répète, c'est de la chimie de synthèse.

Soit le bio ouvrira ses portes pour permettre une évolution avec le meilleur des produits naturels et le meilleur des produits de synthèse, soit il restera cantonné dans son logiciel. Le problème reste de savoir dans le cadre de quelle marque collective cela peut fonctionner.

L'image du bio justement, c'est la recherche du naturel, le refus du recours à la technologie…

Dans le cahier des charges bio, on a confondu bio et technologie et on a fait un cahier des charges anti-technologie. Sans vision globale sur les problématiques et sans vision locale sur les solutions, on tourne en rond. L'idée du bio, « la nature est bonne », est une impasse. On ne devrait pas avoir à choisir entre technologie ou pas de technologie. On en fait une question de moyens, il faut en faire une question de résultats. Quand on plante une vigne, on modifie l'équilibre de la parcelle, ça n'a rien de « naturel » et l'intervention de l'homme est indispensable : si on ne s'en occupe pas, le reste du biotope se réinstalle, l'intervention humaine est primordiale. Le vin, c'est la nature et l'homme ; quand cette rencontre est réussie, on a les plus grands vins. Vouloir nier la partie humaine n'est pas une évolution. L'intervention humaine seule donne du vin standard, mais si on enlève l'homme, on obtient du vinaigre… et pas le meilleur. Les grands vins, c'est la rencontre des deux… il y a derrière tout ça une philosophie humaniste qu'il ne faut pas oublier.

« Utiliser beaucoup de produits standardise les vins, c'est le contraire de notre démarche »

Avec ce que vous venez de nous dire, vous allez et nous allons recevoir du courrier pas très aimable. On va vous accuser de préférer la poudre de perlimpinpin aux tisanes naturelles  !


Il faut faire la différence entre les ingrédients et les auxiliaires œnologiques. Notre matière première, c'est le raisin. Notre chimie, notre science, c'est de mieux comprendre ce que le raisin a à nous offrir pour mieux pouvoir le travailler, avec le plus de justesse possible. Le produit œnologique arrive en dernier recours. Dans le conseil tel que nous le pratiquons, nous ne vendons pas de produits œnologiques, car nous ne voulons pas être en même temps médecin et pharmacien. Dans le vin, on doit être au plus près de la définition du vin, produit de la fermentation du raisin. On croit à une chose évidente, la valeur du vin est intrinsèque, on veut révéler la singularité de chaque vin. Le consommateur cherche une histoire dans le vin. Utiliser beaucoup de produits standardise les vins, c'est le contraire de notre démarche. Il n'est pas utile d'utiliser des tanins, enzymes, etc. Les produits permettent, certes, d'obtenir un vin plus fruité, plus coloré, plus structuré. Mais nous, notre démarche, c'est obtenir un vin qui ressemble à son terroir.

Sollicité récemment par une radio qui voulait absolument nous prouver que dans le vin, « il n'y avait pas que du raisin », les analyses produites par votre laboratoire ont au contraire montré que le vin contenait peu ou pas de résidus.

L'analyse des résidus phyto dans le vin, on en faisait assez peu, on faisait l'autruche, et on a pris du retard dans la communication. Les seuls qui en parlaient étaient les médias de consommation avec une approche un peu sensationnelle, parfois caricaturale. Nos deux dernières campagnes d'analyses de résidus de produits phytosanitaires portent sur plus de 5 000 analyses pour les années 2017 et 2018, sur des vins de 2015, 2016 et 2017. C'est une information solide. On se rend compte que 30 % des vins ne contiennent pas de résidus décelables – et il ne s'agit pas seulement de vin bio qui représente 15 % de la production. En plus, lorsqu'on en trouve, on est bien en dessous de la LMR (limite maximale de résidus), entre 0,5 et 2 % de cette limite.

En comparant ces données avec les analyses faites en 2000, on constate une diminution de concentration de 50 à 80 % de teneur de résidus quand ils sont présents, alors même que les techniques d'analyse sont jusqu'à 100 fois plus précises qu'il y a 20 ans. On est dans une dynamique d'amélioration, et par rapport à la réglementation, on est largement dans les clous. Le consommateur veut du zéro résiduel, mais le zéro analytique, ça n'existe pas… : le non-décelé il y a dix ans, on le trouve aujourd'hui à des doses de l'ordre du millionième de gramme par litre grâce au progrès technique, demain du milliardième, mais en quoi est-ce significatif  ? Il faut envisager de fixer des minima, valeur analytique en dessous de laquelle on considérera qu'il n'y a pas de résidu dans les vins.

C'est Paracelse (fondateur de la toxicologie au XVIe siècle, NDLR) qui a dit : rien n'est poison, tout est poison, le poison, c'est la dose. C'est comme dire que la France est le plus gros consommateur de produits phyto en Europe, d'accord, mais on est aussi les plus gros agriculteurs, alors c'est un peu logique…

(1) La confusion sexuelle est une technique de lutte contre les parasites, notamment les insectes en perturbant leur système hormonal de reproduction.

Source : https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-et-le ... 44_581.php
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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