Surprise à Sociando. Dans le plus grand mystère, le propriétaire de ce cru isolait les quinze meilleures barriques, chaque année depuis 1995.
Nous avons goûté.Sociando-Mallet est un cru unique. D’abord parce que c’est une création récente. En 1969, jeune négociant, Jean Gautreau a acquis cette propriété de Saint-Seurin-de-Cadourne (haut Médoc). Une vaste friche de 30 hectares, avec seulement 5 hectares de vignes. « Après, la maladie du pied de vigne m’a gagné. » La propriété couvre aujourd’hui 65 hectares, dont 50 font du Sociando.
Une réussite exemplaire : si aujourd’hui on faisait un référendum dans la grande famille vinicole bordelaise, une vaste majorité serait favorable à l’inscription de ce sans-grade parmi les grands crus classés du Médoc. Sociando n’a jamais cédé aux sirènes de la mode et de la renommée. Ici, quand tous les grands voisins annoncent des rendements à l’hectare réduits, Jean Gautreau n’hésite pas à proclamer qu’il a « fait le plein ! » et que si 1 hectare de vignoble bien conduit planté à 10 000 pieds n’est pas capable de produire 60 hectolitres de bon vin, il vaut mieux rester couché !
Depuis le millésime 1995, il a décidé de mettre à part une faible partie de la récolte : « Cela représente 1 % du volume total. C’est du Sociando, mais l’élevage dure dix-huit mois au lieu de douze. Au départ, on sélectionne trois barriques par cuve en fonction des parcelles, soit 60 barriques au total. Au bout d’un an, on goûte à l’aveugle et on conserve 15 ou 16 barriques. L’assemblage aussi est différent. Depuis 1995, on s’aperçoit que le cabernet-sauvignon entre dans cette sélection pour 70 à 90 %. » (Plus que dans Sociando, où on le trouve en général à 50-55 %, complété de 40 % merlot, d’un peu de cabernet franc et de petit-verdot).
Une grande différence entre cette sélection et le vin classique de Sociando ? Pas vraiment. La cuvée Jean Gautreau l’emporte en 1997, 1998, 2000, 2004. La cuvée classique domine en 1995, 1996 (de peu), 1999, 2002, 2003 (de peu), 2005. Nous les avons classées à égalité en 2001 et 2006... Aujourd’hui, Jean Gautreau est décidé à vendre ces bouteilles qui portent son nom : « Ce n’est pas une affaire commerciale, je l’ai fait au départ pour voir ce que le vin devient à partir des parcelles. » Quelques bouteilles et peu d’élus, collectionneurs et grandes tables. Mais il reste Sociando, une valeur sûre et abordable.
La dégustation CUVÉE JEAN GAUTREAU 14/1995 Assez végétal, note bois sec, bouche serrée, un peu rugueuse, peut-être un discret problème de bouchon sur cette bouteille.
18/1996 Chocolat, menthe au nez, bouche ronde, épicée, assez virile mais sans dureté, très persistante, des accents de pauillac.
15/1997 Très frais, épicé, de la verdeur, bouche douce, agréablement évoluée, une pointe de sec en finale, mais un ensemble très gourmand.
18,5/1998 Cacao, note truffée, bouche dense, serrée, épices, beaucoup de saveurs, grande classe.
13,5/1999 Cerfeuil, assez végétal, attaque de bouche souple, mais deuxième séquence assez sèche.
18,5/2000 Rôti, cerise confite, bouche ronde, musclée mais sans dureté, tanins onctueux et nombreux, velouté en bouche, douceur étonnante.
16,5/2001 Grillé, moka, épices, nez pas encore complètement développé, bouche moelleuse en attaque, plus tendue ensuite, fraîche, vive, jeune.
15,5/2002 Vanillé, séduisant, bouche ronde, gourmande, assez fine, souple, très beau fruit en finale.
15/2003 Fruits noirs, cerise, poivre, assez fortement épicé, rond en bouche, suave, puissant, riche, tanins vifs mais finale un peu sèche.
17/2004 Floral, cerise, encore marqué par son fruité de jeunesse, frais, élégant, bien fruité, bonne longueur.
17/2005 Boisé, épices, fruits confits, gras, plein, riche, tannique, un vin dense, peu évolué, assez massif à ce stade, fort potentiel mais très fermé.
16,5/2006 Bien fruité, fringant, les tanins sont encore peu fondus et donnent une impression de dureté, mais l'ensemble devrait bien se fondre.
Jacques Duponthttp://www.lepoint.fr