par -JU- » Mer 18 Mai 2011 12:48
Suite à la soirée Dom Pérignon brillamment organisée par le Relais & Château de Cordeillan Bages, c’est en ce mois de Mai le Château Latour, 1er Grand Cru Classé du Médoc, illustre représentant de l’appellation Pauillac qui est à l’honneur.
Comme chaque second Jeudi du mois, le Chef doublement étoilé Jean-Luc Rocha en accord avec son sommelier Nicolas Geoffroy, propose à des passionnés en quête de bonne chère et de bon vin, un voyage gustatif libérant l’esprit en éblouissant les sens, en mariant une passion culinaire à un amour bachique.
Si l’évidente nature épicurienne de la soirée attire chacun à goûter à l’événement, cette dernière se trouve soulignée par un trait didactique comblant tout amateur en soif d’instruction et de découverte. Grâce à l’implication de Jean Garandeau, directeur commercial et marketing du château Latour, les convives apprennent à mieux connaître le château, son histoire, sa démarche et ses vins. C’est en chef d’orchestre spontané, ouvert et respectueux qu’il s’attable avec chacun, répondant aux questions et dévoilant au fil de la soirée les facettes méconnues du domaine si réputé…
Le domaine Latour produit et commercialise trois vins sous le nom de Latour : le Château Latour, les Forts de Latour et le Pauillac de Latour. Porteurs du nom « Latour », ces cuvées se doivent de répondre à des critères qualitatifs sévères, telle est la politique du domaine. Les ceps de vignes minutieusement sélectionnés évoluent sur un terroir de grave reposant sur un sous-sol argileux apparaissant dès 70 cm de profondeur selon les parcelles.
Le Pauillac du Château Latour Cette cuvée fut créée en 1973 mais ce n’est que depuis 1990 qu’elle est élaborée régulièrement chaque année. L’objectif principal du domaine à travers ce vin est de sélectionner les meilleures baies pour les Forts de Latour et pour le Latour lui-même et hisser les grands vins vers des sommets qualitatifs plus élevés encore. Il est donc principalement produit à partir de raisins issus de jeunes vignes ou de cuves déclassées des Forts de Latour. Mais le « Pauillac » est loin d’être le vin produit à partir du tout venant ; les raisins entrant dans son assemblage sont eux aussi soumis à tes tris sélectifs et drastiques, permettant d’obtenir le résultat qualitatif escompté. Les raisins jugés peu propices à l’élaboration d’un bon vin sont écartés de la production, revendus au négoce ou voués à d’autres horizons indépendants de l’étiquette « Latour ». Le Pauillac de Latour représente 15% de la production du domaine et se compose en moyenne à 55% de Cabernet Sauvignon et à 45% de Merlot. Il est un vin qui connaît un élevage en fût comprenant 10 à 20% de barriques neuves, et 80 à 90% de barriques de un à deux vins selon les millésimes.
-1- Le « Pauillac » du château Latour, millésime 2005.
La robe est couleur rubis, brillante, de moindre profondeur.
Les parfums sont agréablement fruités, l’on perçoit des senteurs de baies rouges et de terre humide ainsi qu’une pointe mentholée. La complexité aromatique est moindre et l’intensité modeste, mais la qualité est engageante, accueillante.
En bouche, l’attaque est vive, offerte par une acidité marquée qui ne déséquilibre cependant pas le vin, mais lui confère au contraire une certaine fraîcheur et tenue. Le fruité introduit au nez est retrouvé au sein d’un milieu de bouche agréable et dynamique pour un vin au caractère gouleyant agréable et facile à déguster. La structure est fluide, les tannins satinés et peu concentrés semble-t-il, la densité modeste et enfin la finale gourmande et à l’acidité salivante, tendue par une minéralité sanguine très légèrement métallique. Un joli vin agréable et facile, ayant la classe bordelaise.
Accord proposé : « Esturgeon mi-fumé, caviar de Gironde »
Le premier accord met et vin lie la fraicheur du vin légèrement terrien de par ses arômes à la fumée d’un plat très fin. Accord de choix idéal pour lancer la dégustation et préparer les papilles vers l’exploration hédoniste du monde de la gastronomie.
Les Forts de Latour. Second vin du château Latour, il est réputé pour être le meilleur des seconds vins bordelais, en raison d’une qualité toujours retrouvée. Produite depuis le millésime 1966 dans le but de hisser le château Latour vers les plus hauts sommets de qualité, cette cuvée est commercialisée chaque année et flirt qualitativement avec les plus belles bouteilles du Médoc. Aujourd’hui, la propriété considère que la qualité des Forts de Latour est équivalente à celle du château Latour des années 90… Le vin est produit à partir certes de raisins jugés imparfaits pour le premier grand cru classé, mais aussi à partir des raisins qui ne peuvent pas produire le style recherché selon les millésimes. Il s’ait donc d’une sélection à la fois qualitative et stylistique. Composé selon les millésimes à 75% par du cabernet Sauvignon et 15% par du Merlot, il est un vin plus profond et puissant que le « Pauillac » ; les Forts de Latour connaît un élevage plus ambitieux représenté à 50% par des fûts neufs.
- 2- Les Forts de Latour 1999.
La robe est profonde au disque rubis tirant vers la tuile et marquée par un très fin dépôt en suspension.
Le nez est d’une belle intensité aromatique et d’une bonne complexité, offrant des senteurs torréfiées de moka ainsi que des parfums de cerise noire et de cuir fin. Quelques arômes tertiaires apparaissent au deuxième nez, appuyant un peu plus encore la belle complexité du cru.
En bouche l’attaque est souple ; la suite plutôt dynamique porte le vin en longueur malgré la manifeste richesse de ce dernier. L’élevage perçu au nez est retrouvé en bouche sans caractère ostentatoire, laissant place au fruit ainsi qu’à des saveurs tertiaires rappelant l’âge du vin. L’équilibre est beau, les tannins fondus, et la finale portée par de légers amers conférant une belle fraîcheur. Bien joli vin d’élégance, entrant aujourd’hui dans un registre tertiaire qu’il représente sans complexe.
Accord proposé : « Foie gras mi-cuit, pain d’épice et légumes acidulés ».
Accord étonnant et fort réussi entre ce met au gras fin pourvu de croquant avec un vin vif aux léger amers. Il est là un accord d’équilibre et de contraste, un accord qui rappelle à notre culture culinaire que le Sauternes est loin d’être l’accord idéal tant un vin blanc sec et même un vin rouge peuvent produire de beaux effets.
-3- Les Forts de Latour 2000.
La robe est profonde rubis sombre au disque assez large.
Le nez est d’une belle complexité et d’une intensité aromatique notable. Là encore torréfié, le bouquet exhale des parfums de moka et d’épices, soutenu par de vifs arômes de Cabernet, sève et cèdre, auxquels s’accordent quelques discrètes notes de baies noires et de boîte à cigare. A l’aération, le vin gagne en ampleur et en pureté, mettant en retrait sa gamme empyreumatique pour mieux exprimer son fruit et mieux séduire nos sens avides de pureté et de croquant.
En bouche, l’attaque est nette, elle donne suite à un milieu de bouche concentré, bien équilibré, dynamique et tendu. Les fruits noirs sont ici majeurs, soutenus par une belle acidité et une structure tannique policée et plus riche que celle du 99. Le vin est élégant malgré sa concentration, la matière est belle, fraîche et vive. Longiligne, droit, le vin est porté jusqu’en finale avec justesse et précision. Grand vin.
Accord proposé : « Crépinette de Spéciale Gillardeau et cochon des Aldudes ».
C’est certainement l’accord de la soirée à la fois le plus improbable et le mieux réussi. Voilà un rebondissement de saveurs, de textures et d’associations. L’accord est ici fondé su des opposition, sur des complémentarités. La belle acidité du plat se marie merveilleusement bien au gras délicat de la crépinette et de l’huître, ainsi qu’au caractère délicatement iodé du coquillage. L’accord est très contrasté et complexe, il pousse la réflexion et émerveille les sens. Bravo, il fallait oser !!
-4- Les Forts de Latour 2003. Un vin qui avait séduit bon nombre de dégustateurs dans sa prime jeunesse en raison d’un fruit gourmand et riche. Aujourd’hui, le vin a pris un peu d’âge et se présente sous un jour un peu différent en raison de son évolution.
La robe est profonde au disque rubis moyennement épais.
Le nez est discret tout d’abord, il se déploie ensuite à l’aération avec force et élégance pour offrir des parfums de belle profondeur. En quelques minutes, le bouquet présente une belle complexité de fruit et de terroir ainsi qu’une évidente harmonie à travers sa gamme aromatique. Les arômes sont lourds, ils sont essentiellement dans le fond du verre, peu volatils et profonds toujours. L’on perçoit des senteurs de prune rouge et de cerise noire, de tabac blond et d’épices fines ainsi qu’une note précise de roche chaude.
En bouche, l’attaque est souple, la suite très bien équilibrée avec toujours cette belle acidité qui semble être une qualité chère au domaine et qui porte le vin tout en longueur et sans lourdeur au contraire avec fraîcheur et élégance. Malgré cette fraîcheur, le caractère solaire du millésime est ici transcrit dans le vin qui se montre plus suave, rond et gras que ses prédécesseurs. Le fruit est bien mûr, gourmand et présent jusqu’en final. Grand vin.
Accord proposé : « Les escargots en raviole, d’autres à la bordelaise »
Voici un accord plus classique, où sont associés gourmandises et forces tant de par le vin que de par le met. Il est une course à la générosité et à l’évidence, une course à la rondeur et à la force bousculant les sens.
Le Château Latour. Premier Grand Cru Classé du Médoc en 1855, il est aujourd’hui l’un des trois représentants de l’appellation Pauillac pouvant prétendre à ce classement, avec les châteaux Mouton Rothschild (classé « Premier » en 1973) et Lafite Rothschild (classé « Premier » en 1855). Le nom de Château Latour vient d’une tour qui à l’origine faisait partie de fortifications datant du XIVème siècle, date à laquelle les premières vignes furent plantées. La tour était alors carrée et portait le nom de tour de Saint-Mambert, puis de Saint-Maubert avant de devenir Saint-Lambert. La tour ronde actuelle n’est en fait qu’un colombier bâti vers le début du XVIIème siècle.
Au cours de l’histoire, le domaine viticole fut tout d’abord une propriété paysanne tenue par des fermiers, pour devenir en 1695 la propriété de la famille Ségur. Depuis, diverses transactions en firent la propriété de plusieurs mains pour être finalement rachetée en totalité en 1993 par l’actuel propriétaire François Pinault.
-5- Château Latour 2001.
La robe est rubis sombre, le disque assez fin.
Le nez est élégant et d’une bonne intensité aromatique. Il présente des senteurs primaires de cerise rouge, cassis, graphite, cuir fin et tabac blond. D’une belle complexité aromatique, le bouquet est harmonieux sans note boisée marquée.
En bouche, l’attaque est souple, caressante et donne suite à un milieu de bouche fort distingué en raison d’une structure tannique satinée. Le majestueux toucher de bouche est accompagné par un fruit omniprésent et porté par un équilibre impeccable, frais et précis. Longiligne, élégant et tendu, le vin est harmonieux et apparaît sans la moindre dissociation. Il file avec grâce jusqu’en finale où il marque une belle longueur et une excellente performance qualitative. Très beau vin offrant déjà beaucoup de plaisir à la dégustation.
Accord proposé : « Rouget juste saisi, jus à la lie de vin et épices douces. »
L’accord est tout d’abord un peu difficile en raison de la puissance aromatique offerte par le Rouget. Aussitôt les assiettes déposées sur la table, les effluves envahissent le nez de chacun. Allons-nous percevoir les arômes du cru ? Adroitement, Jean Garandeau prend la parole durant quelques petites minutes tout juste suffisantes pour que les arômes se posent un peu laissant mieux percevoir les flaveurs du vin dans les verres. Après ce démarrage mal engagé, l’accord s’avère fort intéressant. La chair délicate tu Rouget subtilement cuite rappelle la caresse des tannins du Latour 2001. C’est un équilibre et un mariage de textes qui s’opère à travers ce cinquième accord. L’acidité du vin parvient à tenir face au poisson délicat. Bel performance bien qu’un petit peu risquée…
-6- Château Latour 1996.
La robe est profonde et commence à prendre des teintes tuilées rappelant l’âge avancé du vin.
Le nez est aussitôt envoûtant, à la fois intense et terriblement complexe. Il exhale des fragrances de fruits rouges et noirs à tendance cuite, de boîte à cigare, de fourrure, d’humus et de truffe.
En bouche, l’attaque est souple et donne suite à un milieu de bouche complet à la fois profond et contrasté. Le vin est éblouissant d’équilibre, il présente beaucoup de volume, une belle concentration et malgré cela une infinie finesse. L’élégance des tannins ronds et veloutés soutient un fruit de grande race grandi par les années. Tout en tenue, le vin est porté jusqu’en finale sans le moindre creux, sans la moindre faiblesse. Très grand vin.
Accord proposé : « Lapereau comme en Périgord, mijotée de cèpes et dattes Medjool. »
Très bel accord d’évidence. Le caractère tertiaire du vin est rappelé au sein du plat tant au niveau de la farce qu’à travers les cèpes. Le plat est d’une grande précision et le mariage avec le vin reposant tant il est évident et harmonieux.
-7- Château Latour 1971. (servi en magnum)
La robe est profonde, habillée d’un tuilée tirant légèrement vers l’acajou. Le disque est large et plonge progressivement au centre du verre.
Le nez est élégant et appartient essentiellement au registre tertiaire. Le bouquet déploie des parfums de champignon, de fleurs sèches, de musque de cuir, de cèdre et de noyau de cerise. D’une grande complexité il est également fin, moins spontané que les 96 et 2001.
En bouche, l’attaque est vive et la suite à l’équilibre dynamique. L’acidité marquée et la structure tannique un peu sévère font que la transition avec le majestueux 96 est un peu rustique… Malgré les 40 années du vin ce dernier boxe encore et semble présenter un potentiel de garde certain. Le vin est bien concentré, son registre aromatique élégant et sa définition gustative très agréable bien que quelque peu dissociée de sa structure tannique. Le vin représente le registre classique de son époque, certainement un peu moins mûr que les vins actuellement produits à la propriété mais construits pour une garde allant au-delà de la vie d’un homme. Très joli vin.
Accord : Comté millésimé de M. Anthony, 24 mois.
Le comté est certainement le fromage qui se marie le mieux avec le vin rouge de façon générale. Le caractère tannique du Latour 1971 se trouve assoupli par le léger gras du fromage à pâte pressée cuite. L’accord est ici choisi pour révéler le vin en lui ôtant sa petite part de rusticité. Le salé du fromage lui confère une certaine tenue face à ce vin de caractère, faisant que l’équilibre des forces et des expressions est entre le plat et le vin est tout à fait respecté. L’évident caractère tertiaire du vin aurait mérité un accord avec un plat de la même envergure que le Lapereau, mais le choix d’accompagner le fromage de ce vin est fort bien choisi.
Enfin, le repas se termine par une note sucrée ravigotant les papilles de chacun avec un superbe dessert : « Poire et chocolat, éclats d’amandes grillées ».
Les vins de ce soir furent de haut niveau et le style de la maison Latour retrouvé à travers chacune des cuvées. Quelque soit le millésime et quelque soit la cuvée, il y a une recherche de tension et de pureté dans chacun des vins. Chaque cuvée joue dans sa propre catégorie et s’adapte intelligemment aux millésimes. Dans ce sens, les concentrations sont adaptées à la qualité des raisins et donc aux tannins faisant le vin. Si le Latour est plus riche et plus concentré que les Forts de Latour lui-même plus bâti que le Pauillac, tous sont le reflet d’une mesure et d’une recherche d’harmonie. Les tannins sont extraits à la hauteur de leurs qualités, pas de sur extraction et non plus de tannins asséchants (exception faite du 1971 appartenant à une autre époque est né sous une autre main). Bravo pour cette lucidité.
Les mets adroitement choisis et concoctés par l’équipe du restaurant Cordeillan Bages furent à la hauteur des vins à l’honneur. Une cuisine rebondissante et innovante, mais laissant quelques mains courantes auxquels tout amateur peut se tenir. De la magie et de la rigueur pour beaucoup de plaisir. Les accords avec les vins sont précis. Le chef a choisi de proposer des accords de réflexion puis des accords évidents, un véritable mélange des genres rendant la soirée rebondissante, parfois sujette à réflexion, parfois reposante. Un véritable voyage pour les sens. Bravo !
Cordialement
JU
ps : vous pouvez voir les photos de la soirée sur le site du QSCB