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Lobby du vin : fantasmes et réalité

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Ven 8 Mars 2019 10:55

PARTI PRIS.
Ah, le fameux « lobby du vin », cible de choix des enquêtes journalistiques.
Et si on se penchait sur le « camp d'en face »  ?


Un excellent article de Jacques Dupont

Le méchant, c'est évidemment le « puissant lobby du vin » comme le désigne un récent reportage de l'émission Complément d'enquête sur France 2. Comme images d'illustration à l'appui : le défilé d'une confrérie bachique dans un village champenois. Mais qu'est-ce qu'une confrérie bachique ? Un groupe composé très majoritairement d'hommes tous habillés en grande robe style recyclage des doubles-rideaux de grand-mère et coiffés de paris-brest colorés, mais fermes sous le soleil. C'est ainsi que dans les confréries, on se représente l'ancien temps que les moins de 300 ans ne peuvent pas connaître. Une confrérie comme il en existe dans tous les vignobles pour les défilés du jour de saint Vincent (saint protecteur des vignerons) et les séances d'intronisation au cours desquelles des clients de longue date, de riches collectionneurs, d'anciens sportifs, des animateurs télé en activité pour les appellations les plus prestigieuses ou à la retraite pour les moins connues, viennent jurer fidélité aux Chevaliers de la grande descente ou aux Disciples de la barrique en perce… Voilà le puissant lobby du vin en pleine action.

Sinon, en moins exotique, il existe l'association Vin et société, effectivement en charge de défendre le vin, un lobby dont le budget dépend des cotisations que veulent bien lui verser les interprofessions viticoles comme le CIVB (Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux), le BIVB (idem pour la Bourgogne), le Civa (Alsace), etc. Comme ceux qui les fréquentent le savent (surtout leurs salariés), ces organisations se montrent assez radines avec grosso modo tout ce qui pourrait leur être vraiment utile, et ce, afin de réserver des fonds plus conséquents à d'inefficaces opérations de marketing. Le budget global de Vin et société plafonne à 1,5 million d'euros annuels avec 3 salariés.

Politique de l'autruche

En revanche, tous ceux qui dénoncent les agissements de ce « puissant lobby du vin » ne s'intéressent jamais au camp d'en face, si l'on peut dire. Que l'antique ligue anti-alcoolique, rebaptisée ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, forte de 1 300 salariés) dispose d'un budget dépassant les 80 millions d'euros, passe des accords de partenariat avec un des plus importants groupes de mutuelle de santé pour s'offrir les services d'un des plus renommés cabinets de lobbying, engage des procès à grands frais d'avocats, guide la plume ou le micro de certains journalistes, se félicite que durant l'Occupation il y avait moins d'alcooliques. L'ANPAA rédige des amendements avec typo et maquette identiques à celle de l'Assemblée nationale et les dispense auprès des députés avec comme question écrite subsidiaire en forme de douce menace : soutiendrez-vous, oui ou non, cet amendement… voilà qui devrait interpeller nos amis enquêteurs. Mais il semble que non. Pourtant, l'enjeu le mériterait.

Où est-il, ce fameux lobby du vin ? On ne cesse d'entendre à la radio et sur les plateaux de télévision des « spécialistes » qui le dénoncent. Mais des représentants du monde du vin, des vignerons, négociants, œnologues, quand en a-t-on vu  ? Partisans de la politique du gros dos comme l'autruche, ils refusent d'aller au charbon pour défendre leur métier. Sollicités par BFM ou LCI, ils ne sont jamais disponibles et laissent leurs dénonciateurs, membres du gentil lobby hygiéniste, occuper l'espace médiatique. Au final, si ce lobby du vin était au service d'une grande entreprise privée, il est fort à parier que son avenir se profilerait sur un très court terme.

Conspirationnisme

Ah, bien sûr, comme le souligne Complément d'enquête dans les mêmes termes que Mediapart le 27 juin 2018 et Le Monde la 11 juillet 2018 (dans une tribune rédigée par les membres de l'ANPAA), il y a le cas Audrey Bourolleau, conseillère agricole d'Emmanuel Macron et ancienne directrice de Vin et société où elle fut très efficace pour faire admettre que l'œnotourisme méritait quelques égards. Scandale absolu ! Nous possédons le plus beau vignoble du monde, que des millions de touristes veulent visiter et Audrey Bourolleau a osé prétendre et obtenir qu'on puisse en parler. Discrètement, certes, et en prenant la précaution de ne jamais évoquer le fait que ces vignes puissent donner du vin qui lui-même pouvait procurer quelque plaisir… On oublie également de dire que Madame Bourolleau a été aussi une des premières à rejoindre En marche  !, qu'elle s'est mise en retrait de Vin et société pour justement militer dans ce mouvement naissant, qu'elle a accompagné et conseillé le candidat Emmanuel Macron pendant toute sa campagne sur les problèmes agricoles en général. On oublie aussi de préciser que la Direction générale de la santé au ministère est « noyautée » par les membres de l'ANPAA et qu'Agnès Buzyn, ministre de la Santé, est très liée à l'ANPAA, dont elle reprend les revendications et l'argumentaire. Agnès Buzyn qui d'ailleurs dans ce reportage se montre nuancée, beaucoup plus que notre consœur aux propos flirtant avec le conspirationnisme : le lobby du vin chercherait dès la petite école à fabriquer de futurs alcooliques… Certes, c'est un reportage sur ce lobby-là. Mais cela interdisait-il de se poser ou de poser d'autres questions, histoire d'établir non pas une vérité, mais de montrer que la réalité n'est jamais en noir et blanc ?

À toutes fins utiles, quelques pistes pour un deuxième épisode, un jour…

Comment s'est fabriquée la loi Évin ? Quels en sont les auteurs ? Ont-ils envisagé de parler, avant de la faire voter, avec le monde du vin qui n'est pas composé que d'assassins ? Est-ce cette loi votée en 1991 (décret d'application en 1993) qui a fait baisser la consommation d'alcool en France ou bien est-ce le résultat d'une longue évolution des habitudes entamée depuis les années 1960 ?

Le monde médical, pris dans sa plus grande dimension, est-il dans ses motivations et ses réseaux aussi limpide que l'eau de source ?

Les freins, hésitations, peaux de banane opposés à l'usage du Baclofène, ce traitement capable cependant de sauver des vies de patients atteints d'alcoolisme, est-il dû seulement à des doutes relevant de la conscience professionnelle de la part de certains alcoologues ? La question aurait sans doute mérité d'être posée à certains praticiens s'exprimant dans ce reportage.

Ne serait-il pas judicieux d'interroger les médecins qui défendent ce médicament ? Ils sont faciles à trouver et il existe une association Baclofène. « Un jour forcément quelqu'un écrira l'histoire du Baclofène. Avec, en toile de fond, cette question ou plutôt cette énigme : pourquoi des médecins ont pendant si longtemps regardé se dégrader et mourir devant eux des malades atteints d'une maladie, l'alcoolisme, alors qu'ils avaient à portée de main un médicament qui la guérissait  ? », écrivait déjà en 2010 dans Le Courrier des addictions le docteur Renaud de Beaurepaire, psychiatre et chef de service à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif.

Quel but poursuivent certaines mutuelles proches de l'ANPAA ou les compagnies qui proposent « une assurance de santé comportementale » et dans quelle société ces gens-là veulent-ils nous faire vivre ?

Pourquoi l'ANPAA et ses représentants les plus médiatiques ont-ils choisi le vin comme ennemi principal alors que sa consommation s'est divisée par 5 en un demi-siècle en France malgré l'accroissement du niveau de vie et du nombre d'habitants ?

Quel crédit apporter aux différentes études qui nous annoncent des morts par dizaines de milliers, sans aucun bilan clinique, juste par calcul de probabilité ?

Comment est-il possible, alors que la consommation d'alcool a considérablement baissé en France, que le nombre de morts à cause de celui-ci, toujours selon ces études, soit passé de 23 000 dans les années 1970 à 49 000 en 2009 ? (41 000 selon les derniers « calculs » pour l'année 2015 bien que la consommation est estimée stable depuis 2013…)

Comment ne pas se poser de questions (au moins quand on est journaliste) et reprendre comme vérité du charbonnier l'étude du Lancet (le cancer nous menace dès le premier verre d'alcool)… dont on sait désormais que si les données sont bonnes, les calculs sont archifaux ? Pourquoi les chaînes de télé, radios, presse écrite ont repris en chœur les conclusions du Lancet sans vérifier et refaire les calculs ? Pourquoi le Conseil supérieur de l'audiovisuel est-il resté muet sur cette question ? Et question subsidiaire, pourquoi le méchant lobby du vin n'a-t-il pas saisi le CSA ?

Quelle société voulons-nous  ?

Puis, il y a aussi des questions plus philosophiques, des questions que l'on aimerait bien voir posées par le « puissant lobby du vin », celles qui touchent à notre « place dans le trafic » comme chantait Cabrel. Dans quelle société voulons-nous vivre et quel futur pour nos enfants  ? Dans un monde où quand on parlera de plaisir, de goût, d'histoire en dégustant un grand bourgogne, quelqu'un en face sortira sa montre connectée qui indique le nombre de molécules d'éthanol  ? Un monde où quand on demandera un emprunt à la banque, le chargé de clientèle examinera sur écran votre dossier médical pour voir si vous êtes un buveur occasionnel, régulier, jouisseur à risques selon les critères de l'ANPAA. Le dessinateur Woutch avait représenté un gendarme regardant l'alcootest d'un automobiliste et déclarant : « Woaww ! 0,94 g, dont 85,6 % de Château Pontet-Canet 59 ! » C'est pour demain si on n'y prend garde et ce sera moins drôle. Plutôt que de s'excuser sans cesse en prônant la modération, on attendrait du méchant lobby du vin qu'il soit davantage à l'offensive sur ce que le vin nous apprend de notre histoire, de la construction des paysages et de notre civilisation. Qui sont les barbares aujourd'hui  ? Ceux qui acceptent la vie avec ce qu'elle comporte de risques, d'aventures, de découvertes ou ceux qui veulent nous faire entrer dans ces « petites boîtes très étroites, petites boîtes toutes pareilles… »

Voilà quelques-unes des questions possibles pour des épisodes à venir…

Source : Jacques Dupont
https://www.lepoint.fr/vin/lobby-du-vin ... 04_581.php
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Re: Lobby du vin : fantasmes et réalité

Messagepar Didier » Lun 25 Mars 2019 11:44

Ce Jacques DUPONT, c'est quand mĂŞme une "pointure". :good:
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