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L'année tant attendue…Bordeaux 2015. Un millésime gagnant, comparé par certains à 2010 ou à 2005. Enfin !Par Jacques DupontGuillot criait au loup. On connaît la suite : « Menteur n'est jamais écouté, même en disant la vérité. » Ils nous l'on fait tellement de fois, le coup du très bon/très grand millésime, qu'on peine à les croire. Et si c'était vrai ? Pour aborder ce millésime 2015, il conviendrait, si l'on ne craignait pas une sorte de sécheresse dans le propos, de dresser un tableau à deux colonnes : recettes/dépenses, ou positif/négatif. Dans la première, on glisserait ces formidables mois de juin et de juillet avec chaleur impeccable, absence de précipitations, soleil qui tape dur. On ajouterait la pluie survenue juste à temps en août pour éviter de refaire du 2003 – vin de canicule au charme parfois désuet des vieilles confitures de prunes –, des nuits fraîches pour préserver les arômes, une récolte saine sans trace de pourriture...
Dans la seconde colonne, celle qui fâche, on alignerait la courbe des pluies survenues en septembre et octobre, surabondantes dans la partie nord du vignoble, mais aussi le même mois de juillet qui, avec son soleil tapant dur, a quelques fois fatigué les tanins. Surtout, on surlignerait en rouge, la montée des sucres qui, après fermentation, se transforment en alcool. Si, dans le Médoc et partout où le sage cépage cabernet-sauvignon domine, le vin se stabilise entre 13 et 14 °C, ce qui n'est déjà pas si mal, ailleurs, là où le fougueux merlot impose sa loi, on dépasse largement ce seuil.
À tel point que dans certains grands crus, on a dû procéder à des désalcoolisations par des procédés physiques assez violents. Paradoxe du moment ! On dépense des sommes considérables pour s'équiper de systèmes qui respectent au maximum l'intégrité du raisin : vendanges en petites cagettes, réception et encuvage par gravitation afin d'éviter les pompes. Et, parce que la mariée est trop belle, on passe le jus de certaines cuves sur des osmoseurs avec des pressions considérables. Va comprendre… Le réchauffement climatique n'est pas seul en cause. Loin de là . La hausse du degré trouve sa source pour une bonne part dans la volonté de bien faire. Pendant des années, pour ne pas parler en siècle, le combat de la viticulture fut celui du sucre. Comment en obtenir davantage sans avoir recours à celui de betterave par le biais de la chaptalisation ? That was the question. Sauf en (véritable) année exceptionnelle, quand un cabernet grimpait jusqu'à 10 ° et un merlot à 12 °, on invitait les voisins à venir saluer le phénomène. Ou presque, on est à Bordeaux tout de même.
Vins… troubles. Alors, on a considérablement réduit les rendements à l'hectare en taillant plus court la vigne et en procédant à des « vendanges vertes » (élimination de grappes avant la maturité), on a supprimé les engrais, remonté le palissage pour développer la partie foliaire qui fabrique le sucre tout en effeuillant en bas du cep pour que la grappe prenne davantage le soleil, etc. On a aussi vendangé plus tard qu'autrefois, à pleine maturité, quand ce n'était pas en surmaturité. S'ajoutent à cela des « détails » comme les traitements anti-pourriture (anti-botrytis) qui, sous ce climat océanique bien arrosé, ont trouvé un accueil favorable. Cela fonctionne très bien, certes, mais ces produits, en durcissant les peaux des raisins, retardent le mûrissement des tanins (pour faire court) tandis que le sucre, lui, continue de grimper. Voilà un des problèmes importants que le vignoble bordelais doit régler s'il veut continuer à conserver son image ancienne et favorable de vin digeste.
Parler d'image pour Bordeaux, c'est s'aventurer en terra incognita. Voilà une ville radieuse, rénovée, qui vient d'inaugurer sa Cité du vin, 1 3350 mètres carrés répartis sur dix niveaux. Chef-d'œuvre de verre et d'acier culminant à 55 mètres, une forme circulaire évoquant, selon ses architectes, Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, un cep noueux de vigne, le « vin qui tourne dans le verre ou les remous de la Garonne ». Une ville qui ne sait plus quel coefficient multiplicateur il convient d'utiliser chaque année pour compter les touristes qui arrivent par paquebots entiers. Un vin dont la réputation mondiale dépasse celle des plus grands bijoutiers ou couturiers.
La faute aux spéculateurs. Mais voilà aussi, une ambiance viticole générale délétère, une identité qui peu à peu s'érode, une photo qui jaunit et se salit dans son propre pays. Et, le mal gagne alentour, chez nos voisins en Europe. Au point que les Bordelais, ceux du vignoble, finissent par s'en inquiéter. Ils auront mis du temps. Bien sûr, comme toujours en pareil cas, on crie au complot ourdi par le parti de l'étranger (la presse, les jaloux, les méchants…). On dénonce le bordeaux bashing : ce dénigrement systématique qui gagne du terrain chez les consommateurs, les cavistes et même les restaurateurs, qui oublient de plus en plus fréquemment de faire figurer du bordeaux sur leur carte. Sans parler des bars à vins, où en trouver une bouteille relève du miracle. Bien sûr, comme d'habitude, on accuse le miroir « mon beau miroir dis-moi que je suis la plus belle » et surtout pas ce qu'il reflète.
Un exemple. La vente en primeurs plaisait beaucoup aux acheteurs étrangers mais aussi à tous ceux, particuliers, qui chaque année pouvaient s'offrir à prix réduit quelques caisses de grands vins. La bonne affaire qui arrangeait tout le monde. Le client paye d'avance, mais moins cher, des crus en cours d'élevage. Est-ce une bonne année ? Faut-il plutôt choisir Pomerol, Saint-Emilion ou Pauillac ? Telles étaient les interrogations d'alors. A partir du moment où les prix des grandes vedettes flambent, le suspense passe de « lequel choisir » à « combien il coûte ». Le projecteur n'est plus braqué sur la qualité, mais sur le tarif. «
Les gens sont intéressés, on a eu beaucoup de monde dans les châteaux la semaine des primeurs, mais des gens prudents. Ils ont des doutes sur le besoin d'acheter en primeur », nous confiait sous couvert d'anonymat le directeur d'un grand cru classé de Margaux.
Mon beau miroir ne renvoie plus l'image d'un propriétaire vigneron, mais d'un insatiable spéculateur. C'est exagéré, mais les miroirs d'aujourd'hui déforment, amplifient. Pis, on ne voit plus de l'autre côté. Le reflet renvoyé par certains, peut-être trente ou quarante châteaux, masque les centaines d'autres, qui, eux, n'ont pratiquement pas bougé leur prix depuis dix ans et dont certains sont au bord de la rupture. Sur les 924 crus sélectionnés dans nos colonnes (sur quelque 3 000 vins dégustés), la plupart se situent au-dessous de 20 euros et 209 ne franchissent pas la barre de 10 euros. Ceux-là vendent en direct. Vous appelez, vous commandez, vous recevez.
Chez les grands, un autre processus de vente s'est construit au fil du temps. On l'appelle le « négoce de place » ou plus simplement « la place ». La propriété propose un prix, des courtiers relaient auprès des négociants qui achètent, envoient des messages partout dans le monde à leurs clients et, en quelques heures, si tout se passe bien, tout est vendu. Du moins virtuellement, puisque le vin continue gentiment de s'élever dans les barriques au château. Un système bien ajusté, une astuce de commerce bien rodée et unique au monde, mais qui pourtant trébuche depuis quelques années.
« Ce système - la place de Bordeaux - est assez génial, mais la propriété joue la rétention et pratique des prix tellement élevés que des petites structures de négoce sont mises à mal et vendent avec des marges très faibles », confie Stanislas Henriot, directeur de Ballande et Menneret, un des poids lourds de la place. « Nous, négociants, on voit ce qui se passe en temps réel, mais pour que ça remonte à la propriété, il faut du temps. Et en attendant, la part des investissements, des acheteurs sur Bordeaux, diminue. Tant que le marché ne donne pas une information un peu rude, cela continuera », ajoute-t-il.
Ariane Khaida, directrice générale de la maison de négoce Duclot, 200 salariés, un des deux plus importants négociants en grands crus, affiche un optimisme prudent quant à l'avenir du marché primeur : « Les gens veulent des Bordeaux, mais pas à n'importe quel prix… Si ça s'envole comme en 2009 ou en 2010, le marché ne suivra pas. Si on rate cette année, c'est dangereux pour l'avenir des primeurs. Ces dernières années, l'envolée des prix de certains crus emblématiques a fragilisé le système. Mais les propriétaires voyagent, reçoivent, échangent beaucoup et semblent réagir, on sent qu'il y a une prise de conscience. » Que sera sera, et qui vivra, verra !
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