.Guy Roux : "Raveneau et Dauvissat sont les Messi et Ronaldo de Chablis !"Bourguignon né en Alsace, l’emblématique entraîneur de l’AJ Auxerre et ex-consultant pour Canal + aime le vin. Au fil des décennies, il a investi dans plusieurs domaines et a bâti de solides amitiés avec des vignerons tels Jean-Paul Droin, Clotilde Davenne ou Jean-Marc Brocard. Récit d’un authentique amateur. La Revue du vin de France : Joueur de football puis entraîneur de l’AJ Auxerre pendant plus de quarante ans, vous avez évolué au cœur du vignoble bourguignon. Le vin, c’est une passion ?
Guy Roux : Jeune, je ne buvais pas de vin car je jouais au football. J’aurais pu pourtant ! Enfant d’Appoigny, un village resté viticole jusqu’au phylloxéra, j’étais pensionnaire au lycée Jacques-Amyot, à Auxerre. À l’époque, la moitié des pensionnaires venaient du Chablisien, les autres de la vallée de l’Yonne. Les premiers arrivaient le lundi matin avec, cachée dans leur sac, une bonne bouteille. Les jours de match, on avait un antagonisme : les gars d’Appoigny ne buvaient pas, ceux de Chablis buvaient. Et des fois, ils nous battaient quand même !
La RVF : Quand avez-vous touché à votre premier verre ?
Guy Roux : À 32 ans, on est monté en CFA, je ne buvais toujours pas une goutte de vin. Quand le club s’est rapproché de la 2e division, j’ai arrêté de jouer. Il fallait développer les relations publiques, alors j’ai commencé à boire du vin, raisonnablement. C’est la seule boisson alcoolisée que je m’autorise. J’avais 35 ans. J’ai parfois bu un peu plus que la moyenne, mais je n’ai jamais été ivre de ma vie.
La RVF : Vous avez néanmoins investi dans le vignoble. Comment cela est-il arrivé ?
Guy Roux : Un jour, suite à un deuil, la famille Testut à Chablis a formé un GFA (un groupement foncier agricole, autrement dit une société civile propre à l’agriculture, ndlr). Le directeur de l’Yonne Républicaine m’appelle : "Guy, venez avec nous dans ce GFA, ce sera une bonne affaire". Il s’agissait du Grand cru Grenouille, j’ai placé 5 000 francs. Tout l’Auxerrois était dans ce GFA, on recevait nos dividendes en vin, ce qu’ils ne veulent plus faire à Chablis, c’est dommage !
La RVF : ĂŠtes-vous toujours dans ce GFA ?
Guy Roux : Un jour, j’ai reçu une lettre : "Un vote va être organisé pour dissoudre notre GFA et le revendre". J’ai hurlé ! Mais j’étais minoritaire, il faut accepter la démocratie. Et j’ai reçu sept fois ma mise. Pas en liquide, hélas, en argent sonnant et trébuchant !
La RVF : Avez-vous continué à investir ?
Guy Roux : Notre GFA a été repris par La Chablisienne, mais tout ne m’avait pas semblé clair dans cette cession. Je ne mets pas en cause La Chablisienne mais j’estimais qu’on aurait pu faire autrement. J’ai grogné, et quand je grogne, il arrive que l’on m’entende… Pour me faire taire, on est venu me trouver : "Guy, un autre GFA se monte. Il y a du Vaudésir et du Valmur, et trois bons vignerons, rejoignez-nous". J’y suis allé, ça m’a coûté plus cher que le premier… Mais le vin était très bon, je peux le dire. Il y avait là Jean-Paul Droin, Gautheron et un Moreau, côté Louis. Le GFA est toujours en route, il est bien tenu. Le fils Droin a pris la relève. Bon, ça ne fait pas des miracles en termes de rendement, on est au niveau de la Caisse d’Épargne, à peine 0,75 %… Il faut payer le travail à la vigne, le foncier est cher. Mais si l’on raisonne en patrimoine, selon les lois de la paysannerie, c’est plutôt un placement.
La RVF : C’est votre seul investissement dans le vin ?
Guy Roux : Non, j’ai continué. J’ai eu une autre occasion grâce à Jean-Marc Brocard, qui, à son tour, a monté un GFA avec de l’Irancy. Il y avait Clotilde Davenne dans l’affaire, c’est d’ailleurs elle qui pilote ce GFA. J’y suis encore. Mais cette année, il n’y aura pas de dividendes, faute de vin… Et même s’il y en avait eu, je ne l’aurais pas pris tant les difficultés sont grandes. Au lendemain du gel, je suis allé voir Clotilde Davenne, je lui ai dit : "S’il y a un drame, nous serons là Clotilde, solidaires". Elle m’a répondu : "Le drame est arrivé, je le surmonterai". Dans le vin, le côté humain compte beaucoup.
La RVF : C’est donc le Chablisien qui vous passionne ?
Guy Roux : Pas uniquement. Une fois entraîneur, j’ai commencé à gagner un peu d’argent. Pour diversifier, j’ai eu envie d’aller en Côte d’Or. Un jour, j’apprends que le syndicat des vignerons, à Beaune, crée un GFA. C’était dans un Premier cru. J’ai candidaté. On était douze. Une fille me téléphone et me dit : "Vous n’êtes plus que deux !". Et puis, plus de nouvelles. J’ai compris que l’autre avait eu le GFA ! Je n’étais pas content qu’ils ne m’aient pas prévenu. La fille m’a confié : "C’est un restaurateur de Beaune chez qui ils mangent qui l’a eu…". J’ai mis trois ou quatre ans avant d’y retourner. Jusqu’à ce que je reçoive une lettre d’un vigneron de Morey-Saint-Denis, Alain Jeanniard. "M. Roux, je veux faire un GFA sur une petite vigne de Pommard très bien exposée, mais il y a des travaux de drainage, donc vous n’aurez pas de dividendes pendant deux ou trois ans…" Je me suis dit : "Tiens, il doit être honnête". J’ai téléphoné et j’ai souscrit. Ce GFA est très sympathique, l’assemblée générale a lieu le dimanche, elle réunit beaucoup de médecins de Saône-et-Loire. Quand vous avez terminé le repas, vous pouvez vous faire opérer de tout ! Personne ne quitte ce GFA, tout le monde est content et depuis Jeanniard a acheté d’autres terres, on a tous souscrit : il y a de la variété, du pommard, du chambolle-musigny, du morey-saint-denis, un très bon fixin qui, à trois ou quatre ans, est bien au-dessus de son nom. On reçoit nos dividendes en vins. Et on soutient beaucoup Jeanniard qui a des problèmes de santé.
La RVF : Vous en êtes resté là ?
Guy Roux : Non. Je suis ensuite tombé sur un petit vigneron, nommé Jassionnesse. Jassionnesse ne fait qu’un vin, un beaune Premier cru. Je devais avoir gagné deux ou trois matches, j’avais un peu d’argent dans les poches, j’y suis allé. Jassionnesse est dans Beaune, je passe chercher le vin tous les deux ou trois ans. Dans sa remise, il a marqué en grand “Guy Roux”. Il charge les caisses dans mon coffre et j’abreuve ma famille et mes copains !
La RVF : Bref, vous êtes aujourd’hui associé dans trois GFA.
Guy Roux : Non, j’oubliais le quatrième : c’est un mordu de football de Savigny-lès-Beaune qui m’a présenté le vigneron, Philippe Girard. Ce GFA produit deux cuvées, un savigny Premier cru Les Narbantons et puis un simple savigny, un peu à l’écart du village, là où étaient les lépreux. Girard voulait même que j’achète une des deux vignes. J’ai préféré partager. Normal, c’est lui qui cultive et je n’ai rien d’un hobereau de province. Il doit avoir 51 % et moi 49 %. Comme on a tous les deux un fils, on leur a transmis 10 % chacun. Quand je pars aux sports d’hiver, j’y passe et prends une caisse pour la semaine !
La RVF : Mais votre cave doit être très bien remplie  !
Guy Roux : Pas du tout, car je ne prends jamais plus que ce que je veux boire ou garder à la maison. Le reste du vin, je leur laisse, ils peuvent le vendre. C’est ce qui est bien en Côte d’Or : passé le col de la Croix de l’Ormeau, 424 mètres, qui sépare l’Yonne et la Côte d’Or, on se sent plus libre ! De ce côté-ci, à Chablis, on a surtout le droit de se taire, sauf avec Clotilde Davenne.
La RVF : Achetez-vous du vin ailleurs ?
Guy Roux : J’ai un cousin et sa compagne en Alsace, à Colmar. S’ils m’emmènent dans une cave, j’achète une caisse, surtout du riesling que j’aime beaucoup. Je suis né en Alsace, à Colmar, un peu par hasard, avant d’arriver à Appoigny à l’âge d’un an et demi.
La RVF : La hausse des prix des grands vins, c’est un sujet préoccupant pour vous ?
Guy Roux : Je vais vous raconter l’histoire des fiançailles de mon fils avec une fille de la banlieue parisienne, un cadre supérieur du métro, au tournant des années 2000. On organise les fiançailles chez la fille, c’est comme ça. Je propose de partager les frais, ils refusent. Donc je dis : "Très bien, j’apporterai le liquide". J’arrive avec de la Cristalline (sourires), six bouteilles de Grand cru Grenouille 1993 et puis six bouteilles de Mouton Rothschild 1982. Je les avais achetées à Soulac-sur-Mer, 220 francs, parce que madame Laslande, la maman de mon avant-centre Lilian, travaillait chez Mouton Rothschild. 220 francs la bouteille, c’était marqué au feutre sur le carton. Donc, j’emmène mes deux cartons. Les familles sont réunies, les vins excellents, il reste deux bouteilles de Mouton Rothschild et un peu de Chablis. Je n’allais pas remporter les bouteilles ! Je rentre à Auxerre, puis je lis un peu plus tard dans Le Figaro : "Vente à Drouot, Mouton Rothschild 1982 atteint 3 000 francs la bouteille !". Là , j’ai dit à mon fils : "Tu te fiances, c’est bien. Mais ne recommence pas ça toutes les semaines !". Il ne l’a pas fait et j’ai trois petits-enfants.
La RVF : La spéculation, ce n’est donc pas votre truc ?
Guy Roux : Produire une bouteille de Romanée-Conti réclame à peine plus de travail que produire une bouteille d’aligoté, voilà le drame du vin. Prenez Bernard Arnault, il a acheté le Clos des Lambrays à Morey-Saint-Denis. À peu de chose près, ses gars travaillent comme le font les autres vignerons du coin. À dix euros, ses vins partent tous, cela fait une recette. Mais s’il propose les vins à 100 euros, ils partent aussi. Et cela fait une recette dix fois supérieure. S’il pousse ses feux jusqu’à 1 000 euros la bouteille, les vins continueront à partir ! Il serait vraiment c… de ne pas les vendre à ce prix puisque des gens en veulent !
La RVF : Le nouveau propriétaire chinois de l’AJ Auxerre est aussi un passionné de vin. Il vous demande conseil dans ce domaine ?
Guy Roux : L’AJA a en effet été rachetée par un Chinois. Ou plutôt par un capitaliste chinois : c’est son grand-père qui a fondé la société. Son père l’a développée. Lui, le petit-fils, James Zhou, la développe mondialement. Il fait du packaging, il fabrique 90 % des bouteilles de Coca-Cola dans le monde. Mais en Chine, la politique, c’est le parti. Leur chef, qui est jeune, leur dit deux choses : allez conquérir le monde par l’économie, on a deux milliards de gens à nourrir et cela ne va pas changer demain. Allez, achetez du vin, achetez des équipes de foot, conduisez la conquête, ça nous fera connaître. Achetez les savoir-faire en matière de formation, les clubs français sont réputés dans ce domaine, notamment Auxerre. Et ce garçon, il avait déjà acheté un château à Cadillac, le château Renon. Il parle maintenant de Pomerol. Et il va revendre ses bordeaux en Chine à un prix largement supérieur au prix qu’il en aurait tiré en Europe !
(On ouvre alors une bouteille d’irancy Les Mazelots du domaine Colinot)
Guy Roux : Je connais Jean-Pierre et Anita Colinot, et aussi leur fille, très jolie ! Je me souviens d’une dégustation chez Jean-Pierre. Le restaurant d’Irancy venait d’être distingué par un guide. Colinot habite juste à côté. Je sors de table, le père Colinot m’attrape, il me fait boire ses 2005, ses 2009. Je sais boire, mais dans certaines circonstances, rester en dessous de 0,5 c’est dur…
La RVF : Mais dans l’Auxerrois, rien ne peut arriver à Guy Roux…
Guy Roux : Je ne compte aucunement sur ma popularité pour dribbler la maréchaussée ! Il n’y a qu’une fois, lors d’une fête municipale à Chablis… J’y vais à 17 h 00, après un match de l’équipe B à Auxerre. Il y avait un monde fou, deux motards m’accompagnent. À l’aller, aucun problème, je sortais du match, j’avais bu deux ou trois bouteilles d’eau minérale. Mais au retour, ce fut une autre affaire… Les vignerons m’avaient fait boire à table : "Guy, tu vas goûter mon Premier cru machin, il est exceptionnel…". Puis un autre, et encore un autre… Lors d’un repas, vous ne pouvez pas cracher… Après, je vais chez Brocard. Ah ! Brocard… Je repars de chez lui à 1 h 00 du matin, je n’étais pas ivre mais les gendarmes se trouvaient au rond-point. Dans ce temps-là , c’était 0,8 gramme d’alcool par litre de sang. Le gendarme me dit : "On va vous faire souffler". Je suis désespéré : "Vous ne pouvez pas me faire ça !". Il me dit : "Soyez optimiste, M. Roux". Je souffle. Il prend le ballon, le lève : "Oh M. Roux ! 0,78, c’était juste !". J’ai eu du pot !
La RVF : Et le vin dans le foot ?
Guy Roux : Quand j’étais à Canal +, on buvait quelques bons languedocs en allant jouer à Montpellier. Des vins que le Novotel nous mettait de côté et qui n’étaient même pas à la carte. Le président Triaud, à Bordeaux, m’a un jour donné un coffret de Château Saint-Pierre et je lui ai donné un coffret de chablis. Et puis Coco Suaudeau, l’entraîneur de Nantes : je lui donnais une bouteille de chablis, il me donnait une bouteille de muscadet. Elles doivent être encore au fond de ma cave ! Du côté d’Auxerre, Jean-Marc Brocard, Jean-Paul Droin et Yvon Vocoret ont toujours suivi l’AJA.
La RVF : Vous connaissez les deux fameux vignerons de Chablis, Raveneau et Dauvissat ?
Guy Roux : Oui, j’ai un ami qui y va chaque année mais je suis impressionné, j’ai peur de ne pas être la hauteur. Si vous regardez leur réputation, c’est Messi et Ronaldo !
La RVF : Vous jouissez d’une excellente santé, que pensez-vous des vins “bio” ?
Guy Roux : Je ne m’étais jamais posé la question. Mais le jour où j’ai appris que j’avais bu le jus de huit traitements à travers un verre, cela m’a littéralement estomaqué. J’ai appris que Julien Brocard faisait de la biodynamie. Je me suis fait expliquer ce que c’était. J’étais éberlué. On revient à ce que l’on faisait avant. On met de l’ortie, on soigne par les plantes. C’est souvent difficile : dans ma vigne de Savigny, les bois sont morts à cause d’une conversion trop rapide en biodynamie. Il faut purger la terre, diminuer les traitements doucement. C’est difficile à faire car il faut aussi récolter des fruits. Faire ça dans les vignes, c’est un peu comme pratiquer l’acupuncture avec des bouts de bois plantés dans la terre, il faut enterrer une corne de vache avec de la cendre dedans à l’automne et la sortir au printemps… Là , on touche au surnaturel. Mais ce qui est important, c’est qu’on remplace progressivement des produits chimiques par des extraits de plantes qui ont prouvé leur efficacité à travers les siècles. C’est comme moi : quand je tousse, j’ai le choix entre des cachets et des tisanes. Eh bien, je prends trois litres de tisanes pectorales par jour et en trois jours, je viens à bout de mon rhume. Les extraits de plantes sont des médicaments.
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